Critique : Dans Alice au pays des merveilles, le lapin court en consultant sa montre à gousset ; il est inexorablement en retard. Pour Donnie Darko, il s’appelle Franck et se veut maléfique.
Dans Watership Down, les lapins sont des dieux, des guerriers, des sages, des soldats, mais ce sont avant tout des héros.

Lorsqu’il publie son livre en 1972, Richard Adams a déjà une carrière importante derrière lui : soldat de la Seconde Guerre mondiale, puis conseiller au Ministère de l’agriculture et de l’environnement britannique, où il défend ardemment la biodiversité. En publiant ce premier roman à cinquante ans, il connaît un succès phénoménal et le livre devient un classique de la littérature anglo-saxonne.

L’aventure concerne donc des lapins qui ont leur propre mythologie, leurs propres contes et leur propre langage. Tout un monde a été imaginé à travers les collines. Dans le livre, on aborde certes l’aventure, mais aussi la stratégie militaire, les modes de gouvernement, la philosophie, l’origine des mythes… L’écriture, tantôt naturaliste, tantôt picaresque, donne corps à des personnages profonds, dotés de pensée, conservant toutefois leur nature profonde animale. Il ne s’agit pas d’anthropomorphisme, mais bien de s’approprier le monde des garennes, de créer tout un univers autour des animaux. En cela, le roman dépasse le genre du conte merveilleux et ne peut être cantonné à un style, tant les réflexions qui en naissent sont nombreuses.

Le parti pris de donner la parole à ces lapins met d’autant plus en exergue les sujets profonds du livre, à savoir l’exil, les dangers de la migration. A travers leurs épopées, le lecteur traverse les régimes du monde, qu’ils soient autocratiques, dictatoriaux, anarchiques ou monarchiques. Les stratégies militaires tiennent sur des alliances entre espèces, parfois improbables. Dans ce monde, les humains représentent de graves dangers, autant que la famine ou les prédateurs naturels. Richard Adams interroge là notre rapport à l’environnement, sans pour autant se vouloir moralisateur : il raconte l’histoire fascinante de la tribu d’Hazel. En apparence simple, le récit regorge d’ingéniosité, de précisions et d’inventivité.
Ces aventures sont ponctuées de récits mythologiques, comme pour laisser le temps à une civilisation de se les approprier. C’est un monde qui s’offre à nous, le temps de gambader dans les collines, de frémir à l’approche d’un renard ou de tenter d’échapper à un régime autoritaire. Captivant.