Le 22 janvier 2020
- Auteur : Albert Camus
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Lancement cette semaine de notre série "Vie d’artiste", consacrée aux grandes personnalités qui ont fait la culture d’hier ou font celle d’aujourd’hui.
Résumé :
Le 3 janvier dernier marquait le soixantième anniversaire de la mort d’Albert Camus. Journaliste de son état, penseur de l’absurde, amoureux des corps et de la vérité, il est aujourd’hui l’un des auteurs les plus lus en France et dans le monde. De Margareth Atwood à Viggo Mortensen, d’Abd Al Malik à Patti Smith, en passant par The Cure ou les Black Panthers, tous admettent que Camus a changé leur vie. Comment expliquer que l’auteur de L’Etranger ait une place si importante dans l’imaginaire et les discours de chaque génération depuis 1960 ?
Une vie de combats
Albert Camus naît en 1913 à Mondovi, sur la côte orientale de l’Algérie. Fils d’une femme de ménage d’origine espagnole et d’un caviste mort au front pendant la Première guerre mondiale, il grandit dans une famille pauvre et analphabète dont la mère et l’oncle souffrent de surdité. Le décès de son père le marquera à vie, non pas à cause du traumatisme, puisqu’il ne l’a jamais connu, mais comme une absence à combler. Le jeune Albert se réfugie alors dans l’une de ses grandes passions, le football. Il écrira plus tard : « Tout ce que je sais de plus sûr à propos de la moralité et des obligations des hommes, c’est au football que je le dois. »
C’est pourtant sur un terrain qu’il frôlera la mort, à 17 ans, atteint de tuberculose. Les mots le sauveront. Camus avait obtenu une bourse pour étudier au lycée grâce au soutien de son instituteur, M. Germain, à qui il dédiera son prix Nobel 1957. Le jeune Albert étudie ensuite les Lettres et la philosophie avant de publier en 1937 son premier ouvrage, L’Envers et l’endroit, un recueil de nouvelles fortement autobiographique qui décrit le quotidien étroit des habitants du quartier algérois de Belcourt, entre misère et soif de vivre. Le début d’un long combat pour la dignité humaine qui le poursuivra tout au long de sa vie.
Un homme révolté…
La vie et l’œuvre de Camus sont aussi marquées par de nombreux engagements politiques. Journaliste pour Alger républicain, puis directeur du quotidien résistant Combat, il a aussi été membre du Parti communiste algérien et, à la Libération, semble incarner avec Jean-Paul Sartre la nouvelle pensée de gauche.
Cependant, il se détourne rapidement du PC, par peur que celui-ci « devienne une mystique » placée sous le contrôle de Moscou. De la même façon, face au conflit en Algérie, Camus défend la position du doute, dénonçant autant le colonialisme que les discours du FLN et la tentation de simplifier une situation plus complexe qu’il n’y paraît. Son pays natal ne lui pardonnera jamais vraiment, c’est pourquoi il n’existe pas de vrai lieu commémoratif de Camus en Algérie.
… opposé à toute doctrine
A une époque marquée par un manichéisme intellectuel très fort, Camus passe donc longtemps pour un « homme tiède » qui n’aurait pas su choisir son camp. En réalité, si ce fils de ménagère ne s’intègre pas à l’intelligentsia parisienne, c’est parce qu’il ne croit pas en l’idéologie et encore moins au nihilisme. « En 1950, la démesure est un confort, toujours, et une carrière, parfois », écrit-il dans L’Homme révolté. « Camus s’est obstiné à rappeler le coût humain des fantasmes romantiques du Grand soir, analyse Marylin Maeso, auteure de L’Abécédaire d’Albert Camus (Editions de l’Observatoire, 2018), interrogée par L’Express. Il ne croyait pas aux révolutions définitives, car les grandes avancées historiques n’ont jamais été le fruit d’un coup d’éclat, mais d’une lutte interminable, où l’on arrache, dans la sueur et le sang, les quelques nuances qui diminueront arithmétiquement les malheurs de ce monde. » L’homme engagé préfère surtout fédérer que diviser, ce qui explique ses postures nuancées sur la question algérienne.
- Sans s’en vanter, Camus s’est opposé au franquisme, au terrorisme et à la peine de mort. Il est considéré par beaucoup comme un penseur libertaire. © Gallimard
C’est cette mesure, ce combat intérieur contre la démagogie des extrêmes qui, sans dénaturer le message humaniste de Camus, lui donne toute sa clairvoyance. Le journaliste craint l’idéologie comme l’auteur craindra l’abstraction. En 1949, alors que le monde panse encore les plaies du totalitarisme nazi, alors que Sartre théorise le meurtre de l’Européen colonisateur, Camus fait ce diagnostic : « L’Europe souffre ainsi de meurtre et d’abstraction. Mon opinion est qu’il s’agit de la même maladie. » Ainsi, dans son roman La Peste, des milliers de morts sont conciliés dans des registres comme on le ferait avec les chiens écrasés.
Un écrivain du réel
On en oublierait presque les mots de Camus. Ces mots qui disent l’irrationnel comme dans L’Etranger, où Meursault est condamné à mort pour ne pas avoir pleuré à l’enterrement de sa mère, allégorie d’un combat perdu d’avance de l’homme contre les codes sociaux. Les phrases de l’auteur disent la complexité humaine, capable à la fois d’aimer et de tuer, de se révolter et de s’habituer à tout, face au drame sans éclat de La Peste. Ces phrases disent aussi l’absurde du Mythe de Sisyphe, lutte permanente entre le destin fatal de l’individu et son désir de vivre. Camus nous donne justement le goût de l’existence, sans tenter de réconforter, parce qu’il pense que l’espoir mène à la résignation, et que « vivre c’est le contraire de la résignation » (Noces, 1938).
© Gallimard
Bien loin de la grande théorie classique, son œuvre est surtout une philosophie en actes. Elle passe par des personnages modestes et attachants tels Joseph Grand, employé de mairie qui passe toute sa vie à réécrire la première phrase de son livre, et par des portraits poignants comme celui de sa mère Catherine Sinthès, dont le seul loisir est de s’asseoir sur une chaise et d’observer les mouvements de la rue. Albert lui dédiera son roman autobiographique inachevé, Le Premier Homme : « A toi qui ne pourra jamais lire ce livre ». Camus est aussi connu pour ses pièces de théâtre encore montées dans le monde entier (Les Justes, Les Possédés). L’une de ses grandes ambitions est toujours de partir de l’homme pour aller à l’idée, et non l’inverse.
Si ses écrits sont aussi lus, c’est également pour leur style si particulier qui valorise le fait brut, les sensations et les corps, en s’affranchissant de tout commentaire théorique. Il lui a beaucoup été reproché ce laconisme exacerbé, qui manquerait parfois de réalisme. Le fameux « sujet verbe complément », que moquera plus tard André Malraux, n’est-il pas au pourtant la traduction la plus fidèle du désir camusien pour la vérité ?
© Gallimard
Un homme libre, enfin
On aurait tort pourtant de faire de Camus un intellectuel taciturne passant sa vie à palabrer sur le suicide. Il est au contraire un camarade discret mais jovial, jamais avare de calembours, qui cultive des amitiés très fortes avec le poète René Char et les écrivains Martin du Gard et Louis Guilloux (dont il nous reste de nombreuses correspondances). Grand séducteur, il accumule aussi les conquêtes et trompera notamment sa seconde femme Francine avec la comédienne espagnole Maria Casarès.
A propos de lui-même, l’écrivain dira qu’il est « un mauvais homme, un homme faible ». Alors que beaucoup voyaient déjà ses cendres transférées au Panthéon, il repose aujourd’hui encore à Lourmarin, petit village du Vaucluse où l’écrivain s’était offert une maison avec le chèque du Nobel.
Voilà sûrement la vraie force de Camus : avoir été un homme sincère, aussi attentif à son désir qu’au bonheur des autres, jamais sûr de lui, qu’on aura cessé de vouloir déifier, mais qui aura su rester homme, qui s’est attaché à vivre par foi. « Cette foi est la liberté, la liberté folle, comme on dit que l’amour est fou, la grande passion charnelle qui emporte et justifie tout dans l’instant. Mais elle est aussi l’effort épuisant des jours pour éclairer les limites de l’homme, et y maîtriser sans cesse la démesure de l’oppression. » Et, soixante ans après sa mort, nul doute que ces mots résonnent toujours dans la tête de tous les révoltés.
Pour en savoir plus, le documentaire Les vies d’Albert Camus, de Georges-Marc Benamou, sera diffusé le 22 janvier prochain sur France 3 (21h05) et sur le site France.tv jusqu’au 21 février 2020.
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