Jusqu’en enfer
Le 31 mars 2024
Non sans talent mais sous couvert d’un formalisme soporifique, Stéphane Brizé séquestre ses personnages et le regard du spectateur. Peu de place dès lors laissée dans ce système au cinéma et au romanesque...
- Réalisateur : Stéphane Brizé
- Acteurs : Jean-Pierre Darroussin, Yolande Moreau, Judith Chemla, Nina Meurisse, Finnegan Oldfield, Alain Beigel, Olivier Perrier, Swann Arlaud
- Genre : Drame
- Nationalité : Français, Belge
- Distributeur : Diaphana Distribution
- Durée : 1h59mn
- Date de sortie : 23 novembre 2016
- Festival : Festival International du Film de La Roche-sur-Yon 2016
Résumé : Normandie, 1819. À peine sortie du couvent où elle a fait ses études, Jeanne Le Perthuis des Vauds, jeune femme trop protégée et encore pleine des rêves de l’enfance, se marie avec Julien de Lamare. Très vite, il se révèle pingre, brutal et volage. Les illusions de Jeanne commencent alors peu à peu à s’envoler.
Critique : Fatigué sans doute d’en découdre avec les travers d’une société aliénante et avec l’absolutisme économique transformant le commun des mortels en complices abjects (La Loi du marché, 2015), Stéphane Brizé s’en remet à une autre époque a priori plus apaisée dans Une vie. Manière d’échapper quelque part grâce aux costumes et à cette temporalité alanguie à la spirale infernale que le cinéaste radiographiait jusqu’à présent. Toutefois, même en adaptant le classique le plus flaubertien de Guy de Maupassant, ce dernier saisit - malgré lui ou non - l’occasion de réaffirmer le dispositif qui le caractérise film après film : celui de la claustration mentale du protagoniste et du spectateur. Le choix du format carré, qui vient se substituer à l’enfermement du plan-séquence, ne tient à ce titre pas du hasard : le destin de Jeanne Le Perthuis des Vauds, filmé depuis son enfance jusqu’à sa décrépitude, se trouvant dépourvu d’horizon, celui-ci ne s’incarne de fait qu’au présent. C’est pourquoi profondeur de champ et plans larges apparaissent réduits au strict minimum dans Une vie. Au même titre que l’écriture visuelle et scénaristique luttent minutieusement pour ne risquer à aucun moment le romantisme - ostensiblement ici perçu comme un leurre par le metteur en scène.
Cette relecture d’un des plus grands chefs-d’œuvre de l’écrivain français, bien que respectant avec scrupule le roman, s’oppose ainsi vertement par sa forme et sa narration en voix off à tout sentimentalisme. Il n’est pas rare de reprocher à de nombreux films leur sensibilité trop appuyée, cependant Une vie échoue à l’inverse à susciter la moindre tendresse. Certes, c’est vers cet enfer déserté par l’attachement et la passion que tend à dessein le film de Brizé, et Judith Chemla porte avec une certaine justesse cette dépossession. Malheureusement, cette privation - aussi difficile à vivre pour Jeanne que pour le spectateur - bascule dans une aridité en vase clos. Même si l’interprétation vole au secours de ce système infécond, l’étalonnage en clair-obscur monomaniaque et la stase générale finissent par faire dévier le regard, fixé à terme sur les coutures. Il suffit alors de quelques séquences pour comprendre qu’Une vie ne sortira jamais de ses gonds. L’on pourrait y voir là certainement une forme de modestie de la part du réalisateur, ou bien une pudeur assez crispante. Quoi qu’il en soit, si le métrage brille par quelques-uns de ses choix artistiques, rien dans son déroulement ne permet de donner corps à l’ampleur et au vertige poético-sardonique du roman de Maupassant. Ces enchaînements de plans vides tantôt abyssaux, tantôt champêtres en flash-back - paradis perdu oblige - se vivent comme une longue traversée du désert.
Notes : Le roman de Maupassant avait déjà été adapté au cinéma en 1956 par le réalisateur Alexandre Astruc (1923-2016), théoricien de la « caméra-stylo ». Une vie était interprété par Maria Schell, Christian Marquand, Antonella Lualdi et Pascale Petit.
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Josiane 20 novembre 2017
Une vie - Stéphane Brizé - critique
Bonjour,
J’aimerai connaître l’auteur du poème cité dans le film.
Merci d’avance pour votre réponse.
Josiane
Alexandre Jourdain 20 novembre 2017
Une vie - Stéphane Brizé - critique
Bonjour Josiane,
Si mes souvenirs sont exacts, il y a plusieurs poèmes récités par Jeanne pendant le film. L’un d’entre eux est extrait du poème "J’avais froid" de Marceline Desbordes-Valmore, un autre est tiré de "Le Dieu créateur" écrit par Guy de Maupassant lui-même.
En substance :
« Je t’aime comme un pauvre enfant
Soumis au ciel quand le ciel change ;
Je veux ce que tu veux, mon ange,
Je rends les fleurs qu’on me défend. »
in "J’avais froid" de Marceline Desbordes-Valmore
« Car souvent, quand un jour se lève triste et gris
Quand on ne voit partout que de sombres images,
Un rayon de soleil glisse entre deux nuages
Qui nous montre là-bas un petit coin d’azur »
in "Le Dieu créateur", de Guy de Maupassant
Bien à vous,
Alexandre