Notre avis : De son premier roman, La place de l’étoile, publié en 1968, jusqu’à ses récits les plus contemporains, Patrick Modiano a proposé une oeuvre littéraire à la fois originale et cohérente, où autobiographie et fiction s’entremêlent le plus souvent. La manière Modiano privilégie un style dont la simplicité n’est qu’un leurre, ainsi que la récurrence de thématiques, où l’importance du passé, la frontière entre vie réelle et vie fictive, la quête d’identité, interagissent pour susciter une étrange sensation d’incertitude. Ces sujets sont à nouveau évoqués dans Un cirque passe. Le héros, Obligado, se trouve entraîné dans une série d’aventures, par le truchement d’une jeune fille dont il ne sait quasiment rien. L’intérêt de l’histoire réside dans ce mystère qui enveloppe pratiquement toutes les scènes et leur confère une dimension tragique. Le récit s’achève en effet sur l’assassinat du personnage de Gisèle et montre, par ce biais, que la mort constitue un des thèmes essentiels du livre. Tout au long du roman, les deux protagonistes courent réellement un danger, mais ils cherchent délibérément le risque et en cela, ils constituent de véritable archétypes d’aventuriers, même si les deux êtres se dissocient, dans la mesure où pour le narrateur-héros, ces péripéties sont pourvues d’un sens manifeste, car elles sont à la fois perpétuelles (leurs effets se prolongent dans le présent) et initiatiques, tout en étant lestées d’une dimension esthétique : en effet, le jeune homme, doué d’un tempérament artistique évident, met parfois en scène son parcours.
Le lecteur se laisse happer par l’étrangeté de cette histoire, persuadé, comme l’est Obligado, que le dénouement lèvera le voile sur les faits étranges dont il est le témoin et sur les personnages interlopes qu’il croise sur son chemin. Il n’en est pourtant rien. La fin nous laisse non seulement dubitatif, mais nous invite à relire ce texte pour tenter de reconstruire une vérité, qui achoppe à travers la superposition des perspectives temporelles.