Le sang des innocents
Le 30 juin 2004
Michèle Lesbre s’empare d’un personnage de Giorgio Bassani pour illustrer la barbarie à visage humain et ses "dégâts collatéraux". Bouleversant.
- Auteur : Michèle Lesbre
- Editeur : Sabine Wespieser
- Genre : Roman & fiction
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Ferrare, décembre 1943. Un jeune homme gît au beau milieu d’autres corps enfouis dans la neige. La brume du delta du Pô enveloppe ses ultimes rêveries. En route vers la mort, Andréa Felloni replonge une dernière fois dans la douceur du passé. Il hume l’odeur âcre du tabac de son père, se glisse dans les bras de sa mère en salivant devant son gâteau aux châtaignes et serre la taille de la ravissante Sandra. Le fracas des bottes dissipe parfois ces mirages du bonheur, qui resurgissent, une fois le silence de la ville revenu. Ce matin-là, rien ne condamnait Felloni à cette longue agonie en compagnie d’autres victimes anonymes s’il n’avait rencontré sur son chemin un escadron fasciste décidé à se venger de la mort du commandant de la région de Ferrare.
Felloni n’a jamais existé en réalité car c’est un personnage de fiction emprunté par Michèle Lesbre à Giorgio Bassani. L’auteur du Roman de Ferrare l’avait alors choisi comme simple figurant dont on ne sait rien ni de sa vie ni de ses passions. En pèlerinage dans la cité de Romagne à la recherche des héros de l’écrivain italien, Michèle Lesbre a imaginé ce jeune homme dont la vie se serait arrêtée stupidement un petit matin, comme celles de nombreuses victimes du fascisme, comme celles des milliers d’individus qui meurent aujourd’hui sans raison, pris par surprise dans les rêts de l’Histoire. Ce jeune homme étendu là au pied du château d’Este pourrait en effet tout aussi bien être un enfant touché par une balle perdue à Gaza, une jeune passagère d’un bus explosé à Jérusalem ou les invités d’une noce bombardée par erreur en Irak.
Les décomptes morbides ne suffisent pas à dénoncer l’absurdité de la guerre. Seuls les récits de vies brisées témoignent de l’horreur. Avec Un certain Felloni, Michèle Lesbre illustre à quel point l’imaginaire d’un écrivain et ses mots sont une arme suffisamment efficace pour dénoncer ce que l’on dit pourtant être l’innommable. L’agonie de Felloni est ainsi un long voyage poétique sur le fil qui mène de l’enfance à la disparition, la plume funambule de Michèle Lesbre s’arrêtant parfois pour laisser place aux dessins de Gianni Burattoni qui incarnent en quelques lignes sombres l’oppression, la terreur et le vide du malheur. Une magnifique leçon d’humanité.
Michèle Lesbre, Un certain Felloni, dessins de Gianni Burattoni, Ed. Sabine Wespieser, 2004, 156 pages, 18 €
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