Les porcs de l’angoisse
Le 14 novembre 2005
Humour, politique et poésie. Dans la grande tradition des lettres américaines, Annie Proulx dépeint un Texas rustique plus vrai que nature.


- Auteur : Annie Proulx
- Editeur : Grasset
- Genre : Roman & fiction
- Nationalité : Américaine

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Plus qu’une romancière, Annie Proulx est une historienne de l’Ouest américain : son écriture grave, sa curiosité, mais surtout son engagement en font un écrivain indispensable, double féminin d’un Jim Harrison par exemple.
Pour apprécier à sa juste valeur Un as dans la manche et s’immerger totalement dans son univers, il faut aller à l’essentiel, éliminer le superflu. Et le superflu de ce singulier roman, c’est l’intrigue. Bob Dollar est un jeune garçon de vingt-quatre ans. Abandonné par ses parents alors qu’il n’était qu’un gamin, il a été élevé par son oncle, un brocanteur farfelu passionné par les objets en plastique des années 80. Reprendre l’affaire du vieux Tam ne le tente pas franchement et il parvient à se faire embaucher par une multinationale : la Mondiale de la Couenne. Le nom en dit long, il n’y a rien de glamour dans son métier. Sa mission : repérer des terrains à acheter au fin fond du Texas pour que l’entreprise puisse y implanter des porcheries industrielles. Mais la tâche est plus ardue qu’elle n’y paraît : même en faillite, les propriétaires n’ont pas envie de voir leur région se transformer en monumentale décharge. Il va donc falloir la jouer serrer.
Pour Anne Proulx, le job de Bob n’est qu’un prétexte à la chronique minutieuse d’une Amérique rustique en voie d’extinction. Avec une exigence inouïe, elle restitue le Panhandle, une région septentrionale du Texas, dans toute sa dimension : ses bizarreries, ses tragédies, mais aussi ses traditions et sa beauté. Tout ce que l’on peut imaginer y est : les champs d’éoliennes, les puits de pétrole au milieu de nulle part, les cow-boys excentriques, les clubs de vieilles dames, les motels miteux, les gargotes à pancakes, les tornades dévastatrices... Et le plus incroyable est qu’Annie Proulx ne succombe jamais aux stéréotypes. Son sens de l’observation est si aiguisé, son trait si précis qu’Un as dans la manche pourrait se ranger aux côtés d’un traité d’ethno-sociologie.
Mais Annie Proulx est un écrivain engagé, profondément ancré dans les réalités économiques : cette collection de personnages, aussi monstrueux ou attachants qu’ils soient, sert surtout son réquisitoire implacable contre l’industrialisation à outrance, le mépris de l’écologie. Dans la plus belle tradition des lettres américaines, Annie Proulx s’inscrit dans la lignée des Steinbeck ou des Jack London : c’est cette capacité à mêler humour, politique et poésie qui en fait sans conteste une auteur hors norme.
Annie Proulx, Un as dans la manche (That old ace in the hole, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par André Zavriew), Grasset, 2005, 433 pages, 20,90 €