Jurassic couac
Le 1er avril 2012
Non, aucun reptile géant ne se cache derrière ce titre.
- Réalisateur : Paddy Considine
- Acteurs : Peter Mullan, Eddie Marsan, Olivia Colman
- Genre : Drame
- Nationalité : Britannique
- Durée : 1h31mn
- Âge : Interdit aux moins de 16 ans
- Date de sortie : 25 avril 2012
- Festival : BIFA
- Sundance 2011 : Meilleur réalisateur, meilleur acteur, meilleure actrice
- Dinard 2011 : Grand prix du jury, meilleur scénario
Non, aucun reptile géant ne se cache derrière ce titre et, à moins que votre petit Gautier, 8 ans, soit friand de drames sociaux ultraviolents, on vous déconseille de l’emmener voir le film de Paddy Considine.
L’argument : Dans un quartier populaire de Glasgow, Joseph est en proie à de violents tourments à la suite de la disparition de sa femme. Un jour, il rencontre Hannah. Très croyante, elle tente de réconforter cet être sauvage. Mais derrière son apparente sérénité se cache un lourd fardeau : elle a sans doute autant besoin de lui, que lui d’elle.
Notre avis : Premier long-métrage naturaliste d’un acteur que vous aviez pu croiser chez Paul Greengrass (La vengeance dans la peau) ou Edgar Wright (Hot Fuzz), Tyrannosaur est une extension de Dog altogether, court déjà réalisé par l’écossais en 2007. On y trouve un catalogue assez complet des thèmes indispensables à la conquête des tampons délivrés par la grande majorité des festivals de la planète, à savoir alcoolisme, violence sociale et conjugale, abdication spirituelle, viol et autres molestations canines (même si le dernier n’est pas non plus un passeport pour la gloire). Mais ce que Paddy Considine n’avait peut-être pas prévu, en écrivant son drame programmatique pour critiques en mal de réalisme désenchanté (adjectif contractuel dans ce genre de cas), c’est que l’ensemble finirait par tourner au documentaire animalier. Car il faut le savoir, l’Ecosse est une jungle, et dans la jungle, lorsqu’un éléphant est passé par mégarde sur le petit dernier, les tigres ne s’arrêtent pas pour chialer entre deux points d’eau. C’est une question de sens des priorités (et de fonction des glandes lacrymales, certes).
Car la principale réussite de Tyrannosaur, c’est sa focalisation sur le point de friction entre la culpabilité, l’aspiration au salut et l’irréductible animalité de l’homme. Joseph (Peter Mullan), alcoolique oisif, bastonneur lâche, est un fauve aussi paumé que clairvoyant. Il erre parmi ses semblables, mû par un instinct qui fait passer la survie avant la gamberge, quand bien même un passé trouble (c’est une formule, son passé est trouble parce que le récit fait volontairement l’impasse dessus dans la première demi-heure, il s’agit en fait d’un véritable fardeau) une aliénation sociale et des sursauts de conscience catholique le précipitent dans des abîmes de frustration bouillonnante. Au cœur d’une savane prolo pensée comme un purgatoire, où on distingue à peine les chiens des hommes, ce mâle à la fois dominé et dominant fait donc la rencontre d’une Hannah (Olivia Colman) qui, malgré une plus haute extraction et des réflexes moraux de bigote incurable, se révélera incapable de dépasser sa condition de mammifère acculé par une violence contagieuse. En filmant la rencontre de ces purs noyaux de douleur acoquinés en dépit du bonheur, Considine pensait quand même nous pondre un film humaniste (c’est lui qui le dit) sur cette bonne vieille rengaine de l’espoir subsistant dans les ténèbres. Il n’a en fait réussi, et c’est déjà très bien à défaut d’être volontaire, qu’à enfanter une œuvre bestiale et nihiliste sur les impensables chemins que la vie emprunte pour reprendre ses droits.
Par son nivellement et sa volonté de cueillir chaque personnage au plus bas, Tyrannosaur empêche finalement toute lecture sociologique et nous donne l’impression de ne pas avoir su dépasser un certain sensationnalisme visuel. En jouant systématiquement sur la monstruosité et la surenchère, et surtout sans l’assumer totalement, Considine brouille clairement son propos, réussissant même à nous faire marrer quand la mise en scène, avec la légèreté d’un engin de chantier, s’attarde sur une Hannah inondée par l’urine de son mari ou des enfants jouant sur une balançoire alors qu’elle, voyez vous, ne peut pas en avoir avec ce vilain déséquilibré. Dommage, parce que lorsqu’il maîtrise un peu sa caméra, le réal parvient à cadrer des visions (comme celle de Joseph prostré sur une chaise trônant dans les décombres d’un cabanon de jardin explosé par ses soins) qui évoquent quelque chose comme un Inarritu britannique. Mais si quelques bonnes idées (la répétition du même plan de Joseph fulminant devant un bar ou des boutiques de bookmakers) et certains très gros plans (pour le plus grand bonheur des dermatos) montrent avec justesse la mécanique de la fureur et le pathos de ses personnages, l’ensemble de la chose manque de profondeur (mais pas de fulgurances frontales) et se raccroche trop souvent à des pierres d’angle qui ne méritent pas non plus une canonisation immédiate.
Heureusement pour Paddy, Peter Mullan et Olivia Colman sont tout simplement monumentaux. Bon, on connaissait déjà le bonhomme, récompensé à Cannes en 98 (pour My name is joe de Ken Loach) mais Mme Colman (visible, entre autres, dans The Office version UK) concentre, dans son rôle de samaritaine bafouée, tout ce que le film a de plus achevé. Et si nous laisserons à d’autres le soin de sanctifier une actrice « enfin repentie du comique télé pour mieux jouer SON grand rôle », on vous conseille tout de même le film pour la non-romance captivante (parce qu’impossible) qu’elle et son acolyte aviné ont su travailler avec une classe indécente.
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roger w 5 mai 2012
Tyrannosaur - la critique
Plus proche du cinéma de Mike Leigh que de celui de Ken Loach, Tyrannosaur plonge certes la tête la première dans une situation sordide du début jusqu’à la fin, mais le cinéaste a su s’entourer d’un casting incroyable qui nous fait traverser toute une palette d’émotions rarement ressenties avec autant d’acuité. Si Peter Mullan est toujours excellent, c’est sa partenaire qui emporte tous les suffrages. Elle est tout bonnement déchirante et participe amplement au coup de coeur que représente ce film dur et sans concession.