Toutes mes nuits sans dormir - La chronique BD

Compiler un an d’insomnies en un album décousu, avec des pages où se mêlent anecdotes de vie, souvenirs embrumés, aphorismes notés et brouillons griffonnés, n’est en soi pas une chose évidente. La lecture de la vie de Leslie Stein, étoile montante de la BD américaine, n’est pas aisée, surtout quand elle débute. Serveuse barman de nuit, joueuse de basse dans un groupe, artiste à ses heures perdues, elle a un quotidien peu banal, mais son estime de soi est très fragile, voire même cassante sur certaines planches. Ce manque de confiance, ces quelques cicatrices ou plaies du passé, Leslie va timidement les aborder, mais sans les détailler. On parle d’une phrase distillée, d’un dessin égaré, d’un souvenir ébauché. L’ouvrage n’a pas cette trame où l’on peut dire que quelque chose est complet. Sans début ni fin, les saisons qui viennent le rythmer sont d’ailleurs déroutantes, car on attend finalement quelque chose d’elle, alors que rien ne viendra. Si le début, très décousu, avec de bulles qui s’égarent et des personnages peu identifiables, est laborieux, au bout de cent pages on se prend d’affection pour elle. Comme un bon Balzac, il faut toujours lui donner sa chance.

© Delcourt

Sans proposer un roman graphique ou un journal à part entière, Leslie Stein a compris que son salut passait par une veine graphique originale, mêlant les couleurs de Bic, les aquarelles et les feutres dans un style parfois léger, mais toujours juste. Si l’on a l’impression de tomber dans les mémoires d’une collégienne, c’est parce que c’est un peu le cas, avec des passages fleur bleu où justement pourraient apparaître des fleurs bleues, tandis que les visages rougissent devant un garçon sympa ou un cocktail alcoolisé. Jamais vulgaires ou exubérantes, ces pages représentent ce qu’Instagram aurait dû être : quelque chose d’intime mais sans trop dévoiler, un lieu plus feutré qu’exhibé.

© Delcourt

Le style et l’ouvrage de Leslie Stein n’ont rien d’impressionnant au premier abord. Pourtant, les plus de deux cent pages forcent au final le respect, tant ce qui a été proposé est pour ainsi dire à la portée de tout le monde, mais que personne n’a le courage ou la force de faire en vérité. Une belle leçon graphique.