Le 30 juillet 2016
Le mélodrame élevé au rang de chef-d’œuvre.
- Réalisateur : Douglas Sirk
- Acteurs : Rock Hudson, Jane Wyman, William Reynolds, Virginia Grey, Tol Avery, Conrad Nagel, Agnes Moorehead, Charles Drake, Hayden Rorke, Nestor Paiva
- Genre : Romance, Mélodrame
- Nationalité : Américain
- Durée : 1h29mn
- Date télé : 23 octobre 2023 22:25
- Chaîne : Arte
- Reprise: 3 août 2016
- Titre original : All that Heaven Allows
- Date de sortie : 18 septembre 1963
L'a vu
Veut le voir
– Année de production : 1955
Résumé : Veuve d’âge mûr, Carey Scott mène une vie terne et sans histoire dans une petite localité de Nouvelle-Angleterre, se consacrant au bonheur de ses deux enfants Ned et Kay, qui viennent d’entrer à l’Université. Mais Carey rêve encore d’un grand amour. C’est dans cette disposition d’esprit qu’elle rencontre Ron Kirby, le séduisant pépiniériste - de quinze ans plus jeune qu’elle - engagé par ses soins pour s’occuper de son jardin...
Critique : Après le succès du Secret magnifique, le studio Universal reconduisit la même équipe pour un nouveau mélodrame. Mais cette fois, Sirk s’affranchit d’un scénario de coïncidences et de hasards extraordinaires pour se concentrer sur une histoire simple d’amour que des différences d’âge et de condition rendent impossible. Si l’intrigue est ordinaire, le traitement l’est moins que jamais tant la mise en scène élève ce film somptueux au niveau de chef-d’œuvre incontestable, à la fois sophistiqué et bouleversant.
- Copyright Universal International Pictures
La science de l’image éclate à chaque instant : le travail sur la couleur et la lumière, toujours inventif, oppose la chaleur des intérieurs « humains », ceux de Ron le jardinier, ou de son aimée Cary, à la froideur des salons mondains, voire à l’artificialité totale (la chambre de Kay, la fille de Cary, baigne dans des reflets arc-en-ciel). On pourrait d’ailleurs multiplier les oppositions qui marquent la fracture entre les deux mondes : d’un côté des fenêtres ouvertes sur la nature et les étoiles, de l’autre des miroirs qui ne renvoient qu’à soi. Les amis de Ron accueillent Cary, ceux de Cary le refusent ; d’un côté une vraie convivialité, de l’autre un enfermement dans les ragots. C’est une société particulièrement étouffante que Sirk décrit : dès les premières images, le clocher d’une petite ville en automne, l’angle choisi est la plongée, qui se retrouvera à plusieurs reprises et toujours dans une intention dévalorisante. C’est que dans cette petite ville où tout le monde se connaît, l’organisation sociale est rigidifiée, momifiée, au gré de conventions dont il est impossible de s’extraire. Quand Cary décide de changer les règles du jeu et d’épouser le jardinier, elle se heurte à ses enfants aussi bien qu’au cercle étriqué des notables ; ici la construction du scénario, à bien des égard admirable, multiplie les échos qui montrent l’évolution des personnages. Ainsi, des trois discussions entre Kay et sa mère : dans la première, toute théorique, la fille rejette la tradition « égyptienne » qui cloître les veuves ; dans la deuxième, son vernis culturel craque et elle rejette sa mère et ses projets ; enfin, dans la dernière, elle se rend compte de ce qu’elle lui a imposé. Mais c’est aussi dans la reprise de détails concrets que le film repose : la théière admirée, réparée, cassée et jetée au feu ; les apparitions du vendeur de télévision ; le cerf qui revient jusqu’à devenir la dernière image ; la coupe-trophée du père… Tous ces éléments forment une armature en même temps qu’une série de repères subtils qui font avancer l’intrigue ou en préparent la suite.
- Copyright Universal International Pictures
Tout ce que le ciel permet est donc fondé sur une opposition simple, digne d’un vrai mélodrame. D’un côté le jardinier, proche de la nature et du vrai, de l’autre la femme sophistiquée qui étouffe sous les conventions. Toute la question est de savoir si leur amour triomphera ou si, au contraire, il se brisera sur cet écueil. Non seulement Sirk ne gomme pas cette opposition, mais il la renforce par de nombreux détails, par ses découpages (le fils séparé de sa mère par un grillage, par exemple), ses mouvements de caméra qui organisent l’espace entre les personnages et par une référence littéraire qui ponctue le scénario : Walden ou la vie dans les bois, de Thoreau. Si Cary découvre ce livre posé sur une table, Ron l’incarne, c’est à dire qu’il représente l’homme intègre, rejetant la mascarade des conventions sociales. Mais ce n’est pas comme ça que le voient les notables : pour eux il est une « montagne de muscles », que des regards féminins dévorent. Peut-être n’a-t-on jamais dit aussi crûment à quel point la différence sociale peut également s’appuyer sur le désir physique ; peut-être n’a-t-on jamais affirmé avec une telle force en même temps qu’une telle retenue à quel point le désir féminin est insupportable et doit être contrôlé : à cette pauvre veuve on ne promet qu’un vieillard cacochyme, le gentil Harvey qui ne parle que de sa santé, ou un homme marié et libidineux en soirée. Pour avoir tenté de rompre avec cet enfermement qui lui est imposé, elle se heurte à la violence sociale et aux rejets multiples ; elle en développe une migraine qui, dixit le médecin, n’a rien de physiologique ; en termes psychologiques, ceux qu’affectionne Kay avec une suffisance insupportable, elle somatise. Dès lors le choix n’est plus simplement entre le mariage et les conventions, mais entre la vie et la mort, ce que le scénario matérialise par l’accident de Ron.
On a beau connaître ce film sur le bout des doigts, on a beau s’attendre à chacune des péripéties, rien n’y fait : on s’indigne, on larmoie, on serre les poings. Tout ce que le ciel permet réussit la gageure d’être à la fois extrêmement sophistiqué et de susciter des réactions primaires, une sorte d’idéal entre un élitisme discret et un vernis populaire. Chacun, évidemment, sera sensible à tel ou tel aspect, mais il est évident pour nous que l’un des sous-textes les plus riches est la description de l’aliénation féminine ; à cet égard, la célèbre séquence, horrible et contenue, dans laquelle les enfants offrent à Cary un téléviseur, se conclut sur une distance ironique entre la promesse du vendeur (« le monde au bout des doigts ») et ce que montre Sirk, le visage effondré de la dame se reflétant sur l’écran. Et même la fin n’effacera pas cette cruauté qui se pare de bonté pour mieux écraser et faire rentrer dans le rang.
Galerie photos
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.