Il est des livres quasi miraculeux dont on sait qu’ils vous marqueront de manière indélébile. Bien sûr, les circonstances influent sur l’accueil que l’on réserve à un livre. Un roman vous arrive entre les mains à un moment crucial de votre vie et là, l’alchimie s’opère. Il est le livre qui apporte certaines réponses et comble les vides, qui apaise la colère ou le chagrin... Par un mystérieux prodige, il parvient à suspendre le temps : plus rien n’existe que cette relation si particulière qui se noue précautionneusement avec l’auteur et son univers. Tout ce que j’aimais est sans conteste de ces romans envoûtants, mais dont la valeur se mesure aussi à sa profondeur, à sa sensibilité et à sa douloureuse intelligence.
C’est son universalité qui fait de Tout ce que j’aimais un roman aussi bouleversant et attachant : une histoire d’amour et d’amitié dont la solidité traverse les années, surmonte les épreuves. Quand, dans les années 70, Léo, critique d’art, rencontre Bill, c’est le début d’une complicité qui va durer 25 ans : une complicité intellectuelle d’abord, mais ensuite de cœur et d’esprit. Une relation partagée par leur couple que chacun forme avec son âme sœur : Léo et Erica, Bill et Violet, quatre New-Yorkais que la vie va confronter au succès, à la folie, au bonheur, mais aussi à la tragédie. Leur amitié se transmet à leurs fils respectifs, qui naissent à un mois d’intervalle. Mais tout bascule lorsque Matt, le fils prodige de Léo et Erica se noie à onze ans. "L’autre enfant", celui qui a eu la chance de grandir, est forcément moins parfait et moins brillant. Mark devient un adulte menteur, voleur, toxico, monstrueux que rien ne pourra sauver.

Tout ce que j’aimais est bien plus que le récit parfaitement maîtrisé et magistralement écrit de quatre destins fascinants. En analysant si précisément l’âme humaine, son fonctionnement, et en établissant un parallèle avec la place de l’art, Siri Hustvedt nous offre une vision du monde saisissante. Elle désacralise sans hésitation la famille traditionnelle et le rôle qu’elle joue aux yeux de la société dans la réussite d’une vie. Plus que les enfants ou les parents, ce sont les gens que l’on choisit, les amis et l’être aimé, qui forment une communauté : le lien indéfectible n’est plus nécessairement celui du sang, mais celui du cœur et du cérébral. Cette remise en question vertigineuse de nos grands principes fait de ce beau roman un livre rare et inoubliable.