Les nourritures terrestres
Le 25 janvier 2015
En nous livrant la quintessence de son cinéma, Jim Jarmush signe sans doute son plus beau film depuis Dead man. Planant.
- Réalisateur : Jim Jarmusch
- Acteurs : Bill Murray, John Hurt, Isaach de Bankolé, Tilda Swinton, Hiam Abbass
- Genre : Policier / Polar / Film noir / Thriller / Film de gangsters
- Nationalité : Américain
- Date de sortie : 2 décembre 2009
- Plus d'informations : Le site officiel du film
– Durée : 1h56mn
En nous livrant la quintessence de son cinéma, Jim Jarmush signe sans doute son plus beau film depuis Dead man. Planant.
L’argument : L’histoire d’un mystérieux homme solitaire, dont les activités restent en dehors de la légalité. Il est sur le point d’achever une mission, dont l’objet n’est pas dévoilé. A la fois concentré et rêveur, notre homme accomplit un voyage à travers l’Espagne, mais aussi à l’intérieur de sa conscience...
Notre avis : L’immense beauté du nouveau film de Jim Jarmush n’a d’égal que sa modestie. Aucun plan en trop, aucune afféterie ostentatoire, pas l’ombre d’un « truc » scénaristique pour attrape-nigauds. The limits of control carbure à l’essentiel, serré comme un double expresso (dans deux tasses séparées s’il vous plaît), et tend vers une épure cinématographique proche de l’ apesanteur. Mieux vaut ôter ses souliers de plomb pour pouvoir profiter du voyage.
- © Le Pacte
Pourtant, rien de neuf sous le soleil, si ce n’est qu’il s’agit du soleil espagnol. Une condition idéale pour justifier et développer un récit picaresque qui creuse le sillon familier entamé par les œuvres précédentes du cinéaste new-yorkais. Le film empreinte ainsi sa structure décharnée à Broken flowers et Ghost dog tout en retrouvant la puissance évocatrice et poétique du chef-d’œuvre absolu, Dead man. Isaach de Bankolé est un époustouflant cousin de Johnny Depp, Bill Murray et surtout Forest Whitaker (il respecte un code de conduite, est insaisissable, accomplit sa mission jusqu’au bout et, accessoirement, mange aussi les bouts de papier de ses informateurs !). Chez Jarmush, la simplicité des fondations permet toujours une grande liberté d’expression et de création. De la répétition naît le développement (de l’intrigue et du personnage) et le sur-place devient un tremplin d’envol de l’imaginaire.
L’imaginaire, c’est bien de cela qu’il est question. Il ne se passe pas grand-chose d’un point de vue narratif : des séances de Taï-Chi, plusieurs cafés en terrasse, quelques visites au musée et un voyage en train. Pourtant Jarmush parvient à nous hérisser les poils et à balader notre imagination dans un trip opiacé comme aucun blockbuster ne pourra jamais le faire. Pourquoi ? Tout simplement parce que son œuvre, à l’instar des tableaux que le personnage étudie au musée, est un réceptacle idéal à notre imaginaire. Certes, The limits of control est une parabole évidente sur l’art comme moyen de compréhension et d’appréhension du monde, mais il laisse au spectateur la liberté de l’interpréter et de le ressentir comme il l’entend, pour peu qu’il prenne cette liberté. C’est un film hautement sensitif, pour ne pas dire sensuel, en ce sens que le moindre son et le moindre plan sont faits pour être éprouvés, puis pour suggérer et évoquer d’autres sons et d’autres images qui diffèrent selon la perception et la subjectivité de chacun. « A quoi pense le personnage devant ce tableau » se demande t-on ? Et nous, à quoi pensons-nous devant ce film ? Délicieuse mise en abîme.
- © Le Pacte
Mais l’art n’est pas enfermé dans les musées. Il est tout autour de nous, cachés dans les moindres recoins d’un environnement que l’on ne prend plus le temps d’observer avec l’abstraction sensible dont nous sommes pourvus et qui nous différencie des autres espèces de cette planète. C’est en observant le monde avec cet outil de pensée, et en se nourrissant symboliquement des codes délivrés par des personnages représentants différentes formes artistiques (cinéma, musique, peinture, science et même... drogues artificielles !), que ce mystérieux tueur à gages parvient à trouver les limites du contrôle, c’est-à-dire les limites de la réalité, incarnée par Bill Murray. Il faut tuer le réel, faire exploser la machine à réalité aurait ajouté Burroughs, dont l’un des ouvrages donne son titre au film. Rien n’est vrai, tout est imaginaire, nous dit Jarmush. Il fait bien plus que le dire, il nous le prouve, et nous incite à faire de même, lui qui fait s’évanouir littéralement sa caméra, en guise de fin, comme un clin d’œil pour nous passer le témoin. A notre tour d’ouvrir les yeux, de réveiller nos sens. De fait, lorsque l’on ressort de la salle obscure, on voit bien le monde différemment. Rien que pour cela, un grand merci s’impose.
- © Le Pacte
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roger w 6 janvier 2010
The limits of control - la critique
Bien moins commercial que "Broken flowers", le dernier Jarmush est une oeuvre difficile d’accès qui milite pour la liberté artistique dans un monde de plus en plus normé. On y retrouve tous les thèmes habituels du cinéaste, mais l’ensemble est bien plus hermétique que d’habitude. A ne pas mettre devant tous les publics au risque de ne rien entraver au propos de l’auteur. L’ambiance, elle, est toujours aussi sensuelle et brillante.