Quand la légende devient la réalité, on imprime la légende...
Le 21 février 2023
Après avoir arpenté sa cinémathèque intérieure durant plus d’une décennie, Steven Spielberg parachève son œuvre avec The Fabelmans, synthèse à la fois ingénue et érudite de l’obsession ineffable du réalisateur pour le cinéma, ultime refuge du faiseur de rêves, capable de transcender le réel.
- Réalisateur : Steven Spielberg
- Acteurs : Michelle Williams, Seth Rogen, Judd Hirsch, Paul Dano, Jeannie Berlin, Robin Bartlett, Oakes Fegley, David Lynch, Gabriel LaBelle
- Genre : Drame, Biopic, Teen movie, Film pour ou sur la famille
- Distributeur : Universal Pictures France
- Durée : 2h31min
- Date télé : 9 mars 2024 21:00
- Chaîne : Canal+ Cinéma
- Date de sortie : 22 février 2023
- Festival : Festival de Toronto 2022
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Résumé : Le jeune Sammy Fabelman tombe amoureux du cinéma après que ses parents l’aient emmené voir "The Greatest Show on Earth". Armé d’une caméra, Sammy commence à faire ses propres films à la maison, pour le plus grand plaisir de sa mère qui le soutient.
Critique : Depuis plus de dix ans, Steven Spielberg, le faiseur de rêves, le Fableman, n’a de cesse de parcourir les méandres de sa cinémathèque intérieure dans une filmographie scindée en deux faces d’une même pièce, l’une rendant hommage aux films ayant forgé sa perception du monde comme Le pont des espions ou Pentagone Papers, relevant du thriller paranoïaque et politique des seventies qu’il affectionnait étant adolescent ; l’autre que l’on qualifierait de geste cinématographique quasi méta où le cinéaste réinterroge sa propre filmographie en conviant ses fantômes dans un univers fantasmagorique, aux pendants expiateurs, avec Le Bon Gros Géant et Ready Player One : dans ce blockbuster philosophique fou, Spielberg, dans un élan cathartique, se fondait au travers du personnage de l’inventeur de l’Oasis James Halliday dans une scène assez vertigineuse où il faisait face à son avatar de huit ans, bercé par la pop culture quand elle n’était pas encore devenue une ogresse dévorant le moindre créateur. À la manière du Once Upon a Time... in Hollywood de Quentin Tarantino, qui prônait le pouvoir de la fiction sur le réel, The Fabelmans apparaît comme le baroud d’honneur d’un cinéaste longtemps hanté par le pouvoir d’évocation de l’image et, par extension, de la manipulation de celle-ci. La thématique de l’incursion de la fiction dans le réel était déjà au centre d’une autre œuvre somme du réalisateur, A.I. Intelligence artificielle, où David, le petit garçon androïde, atteignait son vœu le plus cher et l’amour de sa mère par le biais du conte de fées, ici Pinocchio, "le lieu où naissent les rêves". Ce n’est pas anodin si The Fabelmans marque le retour de Steven Spielberg comme scénariste, une casquette qu’il n’avait plus portée depuis... A.I. Intelligence artificielle, en 2001. Dès lors, Le héros du film, Sammy Fabelman, va entrer dans une véritable quête initiatique, faisant écho à Spielberg lui-même, quant à l’éducation face aux images et comment elles peuvent altérer notre perception du monde, pour le meilleur comme pour le pire.
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Le film s’ouvre sur un choc. Un choc cinématographique. Le visage angélique d’un gosse traumatisé par la toile de cinéma. Le petit Sammy regarde avec ses parents Sous le plus grand chapiteau du monde de Cecil B. DeMille et se trouve subjugué par la séquence de déraillement du train. C’est la première fois qu’il ressent autant de sensations. Il n’a alors qu’une seule et unique obsession : reproduire l’accident de train, reproduire l’innommable, retrouver une sensation impossible à vivre dans le réel. Sa mère lui procure un train miniature, avec de petits personnages en jouet, et il réitère l’exploit avec sa caméra Super 8, dont l’image est projetée dans le creux de sa main, tel un pouvoir magique. Spielberg nous confesse ici comment est née sa vocation de réalisateur. Cependant, il n’oublie pas que le pouvoir du cinéma peut être à double tranchant, un art transcendantal mais aussi mystificateur. Une caméra peut enjoliver le réel, transformer une mère malheureuse en ménage en une ballerine de porcelaine, comme dans cette scène magnifique où Mitzi, la mère de Sammy, danse comme un spectre munie d’un drap blanc durant une soirée au coin du feu, le sable de la forêt ajoutant une dimension onirique à la pellicule. La caméra peut aussi métamorphoser une brute de lycée, et antisémite notoire, en figure super-héroïque. Dans notre monde de plus en plus envahi par les images, Spielberg nous livre ici une vision particulièrement brillante et éclairée sur sa responsabilité en tant que metteur en scène. Il va jusqu’à revisiter tout un pan de son traumatisme d’enfance, le divorce de ses parents, matrice de sa filmographie, dans une scène que n’aurait pas renié Brian DePalma, où Sammy, en plein montage de son film de vacances, manipule la pellicule et découvre l’adultère de sa mère par le biais de l’analyse filmique : travail de l’arrière-plan, profondeur de champ, jeu de regards, inserts. L’exercice auquel s’adonne Spielberg devient littéralement vertigineux.
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Spielberg laisse le soin de clôturer son long métrage sur un de ses pères spirituels, John Ford, pionnier du mythe fondateur de l’Amérique. Un peu plus tôt dans le film, Sammy regarde L’homme qui tua Liberty Valance au cinéma. Dans ce western crépusculaire, le sénateur Randsom Stoddard, interprété par James Stewart, est estomaqué quand un journaliste lui rétorque durant une conférence de presse : "Quand la légende devient la réalité, on imprime la légende". Une phrase entérinée au panthéon du septième art, qui pourrait se substituer volontiers à The Fabelmans. Soixante ans jour pour jour avant Spielberg, Ford nous mettait déjà en garde sur les dérives de la "construction" idéologique ou, devrait-on le dire autrement, la manière dont l’imaginaire tuait la réalité. Dorénavant, c’est au spectateur de déceler la vérité de l’illusion.
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