Mon frère ce héros
Le 25 avril 2024
Écrit par Coppola lui-même, Tetro est un diamant noir sincère et émouvant malgré une fin un peu toc. Avec un Vincent Gallo retrouvé.
- Réalisateur : Francis Ford Coppola
- Acteurs : Carmen Maura, Rodrigo De La Serna, Vincent Gallo, Maribel Verdú, Alden Ehrenreich, Klaus Maria Brandauer
- Genre : Drame, Noir et blanc
- Nationalité : Américain, Argentin
- Durée : 2h07mn
- Date de sortie : 23 décembre 2009
- Festival : Festival de Cannes 2009
Résumé : Tetro est un homme sans passé. Il y a dix ans, il a rompu tout lien avec sa famille pour s’exiler en Argentine. À l’aube de ses dix-huit ans, Bennie, son frère cadet, part le retrouver à Buenos Aires. Entre les deux frères, l’ombre d’un père despotique, illustre chef d’orchestre, continue de planer et de les opposer. Mais Bennie veut comprendre. À tout prix. Quitte à rouvrir certaines blessures et faire remonter à la surface des secrets de famille jusqu’ici bien enfouis.
Critique : Cela fait bien longtemps que Francis Ford Coppola n’a plus rien à prouver. Sauf peut-être une chose : qu’il sait encore écrire une histoire. Trente-cinq ans après Conversation secrète, voici donc enfin un scénario original signé par le maestro. Du coup, lors de la présentation du film à Cannes, beaucoup se sont empressés de déclarer qu’il s’agissait là de son œuvre la plus personnelle. Certes, à travers Tetro, Coppola parle de son génie de père, de sa fascination pour son grand frère et de la famille en souffrance. Mais ce sont des thèmes qui innervent toute sa filmographie et l’on peut aisément mettre en relation ce dernier métrage avec Rusty James par exemple, d’autant que Matt Dillon devait initialement interpréter le rôle de Vincent Gallo.
Non, ce qu’il y a de vraiment personnel dans ce nouvel opus, c’est le plaisir simple et honnête que prend le cinéaste à faire ce qu’il veut. Par exemple, il choisit de tourner en Argentine parce qu’il a récemment craqué pour ce pays, et il délaisse les mouvements de caméra pour ne réaliser quasiment que des plans fixes. Un choix par ailleurs fort judicieux puisqu’il nous offre une succession de tableaux saisissants plongés dans un sublime noir et blanc. Coppola, avec un sens du cadre photographique hallucinant, compose des plans d’une stupéfiante beauté et les enfile comme des perles sur un fil narratif mince mais solide. Le tout avec un naturel désarmant et une simplicité loin de toute velléité ostentatoire, comme s’il lui suffisait de claquer des doigts pour réaliser ces petits miracles.
Ainsi, le point fort de Tetro réside dans le fait que tous ces plans pensés et travaillés nous donnent une impression paradoxalement naturaliste. Grâce aux nombreux extérieurs peut-être, et à des personnages hauts en couleurs, dignes d’Almodóvar, sans doute. Seul élément symbolique, mais traité avec une classe folle : le jeu sur le noir et blanc, l’ombre et la lumière. L’affrontement entre le ténébreux Tetro (quel bonheur de revoir Vincent Gallo !) et le solaire Bennie (Alden Ehrenreich, étrange croisement entre DiCaprio et Michael Pitt). La lumière, Tetro la fuit désespérément et préfère la renvoyer (il est éclairagiste dans un café-théâtre minable) car elle lui rappelle la vérité de son passé. Bennie, lui, est assoiffé de vérité au contraire et s’approche dangereusement de cette lumière au fur et à mesure de son enquête sur son frère, à l’instar du papillon manquant de se brûler les ailes au contact d’une ampoule. Ce jeu et cette opposition ne sont là que pour souligner délicatement les sentiments profonds exprimés par les personnages. Coppola frôle la perfection.
Malheureusement, lorsqu’il décide in fine, de manière pourtant astucieuse, de plonger ses personnages dans le factice (la remise des prix et l’enterrement du père) pour faire éclater la terrible vérité, le symbolisme prend alors le pas sur les rapports humains et le film plonge dans un surréalisme pompeux et pompier. Le papillon se fait pachyderme. La sincérité laisse place à un savoir-faire froid. Dommage que cette fin ternisse quelque peu une œuvre qui reste malgré tout la meilleure de son auteur depuis fort longtemps.
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.
Norman06 23 décembre 2009
Tetro - Francis Ford Coppola - critique
Coppola, dont c’est ici le grand retour, transcende un matériau de base introspectif pour dégager une réflexion émouvante sur les liens familiaux, la création artistique, et la nécessité de suivre sa propre voie. On appréciera la virtuosité du montage, alternant les huis clos de combat psychologique frontal, les séquences de traumatisme d’enfance (dont un terrifiant crash automobile source de toutes les vicissitudes), et les rares scènes de rue, reconstituées en grande partie en studio. Une seconde partie du film, plus lyrique et baroque, révèle des accents de tragédie grecque, tempérés par un humour discret.
’Boo’Radley 3 janvier 2010
Tetro - Francis Ford Coppola - critique
Chronique familiale intime un peu abstraite. Mais qu’importe, le fond du sujet n’est rien, car le fond ici c’est la forme. Toutes les possibilités du numérique sont mobilisées au service de l’image. Coppola, l’un des noms dont s’honore l’histoire du cinéma, s’émerveille, comme un enfant, de découvrir les nouvelles ressources laissées à sa portée : un clavier complet et tout neuf de moyens expressifs, sur quoi il tapote, pour se faire la main, quelques gammes.
Frédéric de Vençay 9 janvier 2010
Tetro - Francis Ford Coppola - critique
Coppola prouve une fois de plus qu’il est l’un des plus grands cinéastes américains de son temps : Tetro, sa liberté absolue, son amour du cinéma et de l’Art en général, sa constante recherche plastique, sa force émotionnelle, ses instants de grâce, ses comédiens géniaux (Vincent Gallo, enfin à sa juste valeur !), tout tient de l’éblouissement.