Le 24 septembre 2020
Un essai sur les grandes promesses du Web et les déconvenues qui en résultent, lorsqu’il ne devient qu’affaire de capitalisme. Ce point de vue économique vise à démontrer l’asservissement des individus et des États au modèle actuel de l’économie numérique. Dense, mais manquant de perspectives finales.
- Durée : 256 pages
- Auteur : Cédrid Durand
- Editeur : Editions Zones
- Genre : Essai
- Nationalité : Française
- Date de sortie : 17 septembre 2020
- Plus d'informations : Site des Editions Zone
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Résumé : Cédric Durand expose comment le modèle économique des géants du web a évolué pour transformer l’utilisateur en profits et garantir leur monopole. Assistons-nous au retour conscient de la féodalité dans le monde numérique ?
Critique : Le livre fait un constat : aujourd’hui, les « GAFAM – Google Apple Facebook Amazon Microsoft » sont partout dans la vie quotidienne occidentale et ont créé des habitudes. La plupart des individus ne peuvent s’en passer. L’installation de leur monopole, dont le processus est décrit par l’auteur, s’accentue en raison de leurs stratégies d’absorption des concurrents éventuels et d’innovation, comme un prédateur jamais rassasié. Pourtant, la naissance de la Silicon Valley dans les années 1970 se démarquait initialement par la volonté de faire tomber le monopole d’IBM : l’ordinateur personnel, puis la navigation en ligne, devaient être accessibles au plus grand nombre dans un but bien précis, créer le Village global. L’expression a été créée par Marshall McLuhan en 1967 pour caractériser les médias de masse, théorisant ainsi le concept qui veut que n’importe qui, à n’importe quel endroit de la planète lié par le réseau, puisse accéder instantanément à n’importe quelle information.
Dès lors, la Silicon Valley devient le paradis des adeptes de ce Village Global. Comme le décrit la série Halt and Catch Fire, il s’agit alors de « briser les codes pour changer le monde ». Or, au début des années 2020, la donne a changé : un moteur de recherche dominant, capable d’absorber la plupart des recherches sur la planète, un réseau social unique qui propose tous les aspects du divertissement, un modèle d’équipement propriétaire et donc verrouillé, une plateforme de vente en ligne qui regroupe absolument tout ce que l’on peut chercher, à des prix défiant toute concurrence, et un système d’exploitation dominant dans les pratiques personnelles comme professionnelles. Que s’est-il passé ?
Durand démontre, dans la première partie du livre, comment « L’esprit start-up a laissé place à la prédation de monopoles privés » (p.82), puis les dangers que cela entraîne pour la démocratie. Il reprend la thèse du philosophe allemand Habermas de « réféodalisation de la sphère publique » et l’adapte aux technologies aujourd’hui, dans nos vies : comment l’opinion remplace l’information, en quoi la hiérarchisation des idées n’est plus opérée et enfin, le capitalisme libéral des GAFAM qui se substitue à la politique, se mettant au service des régimes autoritaires pour accroître leurs profits. L’enjeu de l’application TikTok, dans la géopolitique actuelle entre les Etats-Unis et la Chine, en constitue un parfait exemple.
Les utilisateurs sont ainsi soumis à l’exploitation de nos données : géolocalisation, goûts culturels, achats, suivi santé, tout cela afin de mieux devenir une cible en fonction des comportements, et pour être conduit à des achats nouveaux. La réforme de la Loi sur l’audiovisuel en France prévoit d’ailleurs une géolocalisation possible, où l’exploitation des données des téléspectateurs permettra de mieux cibler la publicité.
Pourquoi parler de « techno-féodalisme », deux termes apparemment antagoniques ? Pourquoi ressusciter ce terme « féodalisme » d’il y a plus de mille ans ans, dont la définition est « principe de soumission du vassal au suzerain » ? En fait, ce serment de soumission advient lorsqu’on clique en quelques secondes sur « suivant », au moment de la non-lecture des conditions de vente, car, comme à l’époque des vassaux et suzerains, la liberté de ce serment est illusoire : l’inégalité entre le suzerain et le vassal est telle qu’il n’y pas de choix, ni de liberté à travers cette sujétion.
Dans cet essai, la démonstration de cette thèse du techno-féodalisme est impeccable. Très documenté et sourcé, le texte délivre une pensée fluide, fondée sur les modèles économiques jusqu’alors dominants et met brillamment en lumière la rupture opérée par cette nouvelle économie numérique. En revanche, la précision de l’écriture s’adresse à un public déjà familier de l’Histoire économique, voire sociologique, où s’intéressant de près aux questions de la digitalisation. Les termes sont rarement explicités et les thèses présentées ne peuvent être étayées qu’en bibliographie. Les annexes à la fin du livre permettent cependant, par des exemples concrets, de mieux comprendre les enjeux dont il est question.
L’analyse pertinente et juste de Cédric Durand se montre particulièrement pessimiste sur les possibilités futures : « l’avenir appartient à la main invisible des algorithmes » (p.233). L’absence de perspectives, hors de ces monopoles ou la possibilité de voir un autre pionner d’un numérique à venir, n’est pas évoquée ou envisagée. Pourtant, c’est ainsi qu’est née la Silicon Valley : à travers un foisonnement d’idées, d’envie de contre-pouvoirs, de croire que la liberté pouvait se conjuguer avec l’égalité. L’auteur formule le vœu d’une « véritable démocratie économique ». Ce livre doit contribuer à éveiller les consciences, pour mieux chercher du côté des alternatives à cette prédation.
Extrait de l’émission Hors-Série avec l’auteur :
Dimensions 140 x 205 mm
Version papier 18 €
Version numérique 12,99 €
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