Quel bonheur pour Amélie de retourner au paradis de son enfance ! Celui de sa première figuration du monde, rêvé, fantasmé depuis qu’elle en a été arrachée à l’âge de quatre ans. Son diplôme de japonais en poche, la voici engagée comme interprète dans une multinationale de Tokyo. Mais le Japon n’est pas fait que des carpes nageant paresseusement dans un bassin, des nounous au doux sourire et du ciel zinzolin de Métaphysique des tubes. Strictement codifié, l’univers dans lequel Amélie atterrit la déconcerte totalement. Incapable de le décrypter, s’ingéniant à bien faire, elle collectionne les gaffes, est traînée dans la boue par ses supérieurs. Sans cesse rétrogradée, vouée à des tâches plus subalternes et inintéressantes les unes que les autres, elle terminera sa dégringolade au poste de... dame-pipi.

Outrée, cette peinture du monde de l’entreprise nippone ? Amélie Nothomb, on le sait, est adepte de la démesure. Mais sa fable fait mouche. Hiérarchie, jeux de rôles, vexations, humiliations, cheffaillons imbus de leur personne, non-utilisation des compétences : le harcèlement moral fleurit aussi hors du pays du Soleil levant... Et sa manière d’y résister, une idée féerique, bien dans sa veine. Loin de s’inspirer de l’honneur du samouraï, plus proche du moine bouddhiste, serpillière dans une main, balai de chiottes dans l’autre, Amélie s’envole et plane au-dessus des gratte-ciel. En s’évadant, elle parviendra à honorer son contrat jusqu’au bout. Mais une fois de retour, il faudra se débarrasser sur le papier de cette année désastreuse. Dire adieu à son rêve d’un pays idéal. Stupeur et tremblements, véritable crime de lèse-Japon, terrifiant et hilarant, par lequel Amélie Nothomb a proprement tordu le cou à sa nostalgie de l’éden enfantin...