Souvenirs d’en France - André Téchiné - critique

Critique : Étonnante modernité d’un film qui s’ouvre sur un plan fixe où l’on voit un homme découvrir une affiche de propagande : entre Front national et Front populaire il faut choisir. S’ensuit le générique auquel André Téchiné sait déjà nous habituer : une musique très expressive, qui annonce un film raconté comme un roman, avec des personnages d’une étonnante densité. Nous ne sommes pas dans les années 2010 où les populismes en tout genre abondent au milieu d’un paysage politique risqué, mais bien dans les années 30, dans un petit village de province, d’où l’on sait que quelques années plus tard, l’avènement des populismes dévorerait l’Europe et conduirait à la guerre.

© 1975 TIGON FILM DISTRIBUTORS – IMPEX-FILMS. TOUS DROITS RÉSERVÉS.

Derrière cette histoire familiale qui se déroule sur trente ans, Téchiné raconte l’histoire d’une France, creusée par les luttes de classes, les ravages de la guerre et la fracture inconsolable qui met dos à dos les bourgeois des ouvriers. Jeanne Moreau traverse ces deux univers avec une facilité presque noble. Elle démarre le film dans la peau d’une jeune blanchisseuse déterminée à faire de sa vie un destin d’héroïne. Elle parvient à casser toutes les barrières infranchissables d’une France sclérosée par ses radicalités sociales. En fait, André Téchiné écrit le film d’une femme étonnante et dramatique, comme il le fera souvent dans sa filmographie avec Deneuve, Adjani, Béart etc. Il aime ses comédiens et ces derniers le lui rendent bien, dans des dialogues, certes vieillis, mais qui témoignent déjà d’un cinéaste soucieux d’un art proche de l’écriture romanesque.

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Quelques comédiens - subrepticement Jacques Nolot et surtout Michèle Moretti - habitent ce deuxième film du cinéaste. On les verra ensuite dans la plupart des œuvres de Téchiné. Des musiques aussi, sur lesquelles ses personnages entament une valse, rempliront ses œuvres futures. Bref, André Téchiné déploie à travers Souvenirs d’en France ce qui fera l’immensité de sa carrière cinématographique. Il impose un style, une manière de conduire ses acteurs, et une vision de la France des territoires, comme on se plaît à le dire aujourd’hui. Certes, il n’y a pas encore son intérêt tout particulier pour des personnages homosexuels dans ce récit, mais Berthe incarnée par Jeanne Moreau fait figure de grande héroïne, libérée des conventions sociales, au nom d’une émancipation féminine et culturelle.

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Souvenirs en France qui a été magnifiquement restauré par le réalisateur et son chef opérateur de l’époque, Bruno Nuytten, demeure une œuvre qui n’a pas vieilli d’un pouce, et dont la modernité annonce déjà la force de l’œuvre entière d’André Téchiné.