Le 7 mai 2003
Quand les immigrés se prennent les pieds dans leurs racines.
De la difficulté d’être soi quand on est membre de la deuxième génération d’immigrés bangladeshi ou issu d’un mariage britannico-jamaïcain et qu’on se prend les pieds dans ses racines.
Il y aurait beaucoup à dire sur le fourmillant roman de Zadie Smith. Un roman où se dessine le portrait d’une foule bigarrée de personnages dans une banlieue populaire de Londres. Un roman où sont posées des questions d’une actualité brûlante, comme la manipulation génétique, l’intégration dans la société britannique de la deuxième génération d’immigrés venus de l’empire colonial éclaté, la radicalisation de la foi, quel que soit le dieu censé l’inspirer. Un roman des plus exotiques pour le lecteur français, et pas seulement parce qu’il s’agit d’immigrés jamaïcains ou bangladeshi, que Zadie Smith n’hésite pas à présenter, avec beaucoup de tendresse et d’humour, sous le jour le plus loufoque, sans pour autant gommer le drame de ces étrangers en quête de leur identité. Exotique aussi parce que l’on (re)découvre, à travers le regard perçant d’un écrivain elle-même née d’un père anglais et d’une mère jamaïcaine, les particularismes des Anglais, dont Zadie Smith se joue avec une délicieuse ironie.
Sourires de loup, c’est tout cela, et bien plus encore. Mais, dans l’apparente complexité du roman, qui pourrait aussi bien être un conte philosophique à la manière du Candide voltairien, on ne devra pas perdre de vue ce fil, d’abord ténu puis de plus en plus solide, cette interrogation de prime abord anodine puis de plus en plus nécessaire sur la fragilité de l’individu face au poids de l’histoire. En effet, tous les personnages du roman se heurtent à l’histoire, que ce soit celle de l’humanité (et des religions) ou bien leur propre histoire familiale, dans lesquelles ils se retrouvent perpétuellement englués, annihilant leur volonté personnelle, faisant d’eux les tristes pantins d’un avenir déjà écrit, où l’on cherche par tous les moyens (la Foi, la Science), à éliminer le hasard, à faire fi de la contingence. Et ce conflit se révèle d’autant plus traumatisant et tragique pour ceux dont les racines sont tout à la fois objet de culte et de reniement, quand on cherche à être soi-même en s’émancipant d’un passé pourtant toujours déterminant.
Un livre à lire pour le brouillard d’une Londres métissée, l’odeur des acras et le fumet du curry, les Indiennes en sari et les Anglais en velours côtelé, pour sa qualité littéraire, pour l’érudition sociologique et historique (et le talent !) de son auteur, mais aussi pour la gravité de ce surprenant et retentissant premier roman.
Zadie Smith, Sourires de loup (White teeth, traduit de l’anglais par Claude Demanuelli), Folio, 2003, 8,20 €
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