Le 25 novembre 2024
Conclave reste comme un (plutôt) joli verni recouvrant une toile trop vide. Accaparé par son baroque et sa débauche de moyens, Edward Berger rate le beau et riche sujet qu’il esquisse.
- Réalisateur : Edward Berger
- Acteurs : Isabella Rossellini, Ralph Fiennes, Sergio Castellitto, Merab Ninidze, John Lithgow, Stanley Tucci, Brían F. O’Byrne, Joseph Mydell
- Genre : Thriller
- Nationalité : Américain, Britannique
- Distributeur : Société nouvelle de distribution (SND)
- Durée : 2h01mn
- Date de sortie : 4 décembre 2024
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Résumé : Alors que le pape vient de mourir d’une crise cardiaque, le cardinal Lawrence est chargé — malgré ses réticences — de superviser le conclave. Il va ainsi devoir mener un groupe de cardinaux venus du monde entier dont la mission est de sélectionner le candidat à la succession du défunt pape. Ce poste de chef de l’Église catholique attire les convoitises et va intensifier les stratagèmes politiques au sein du Vatican. Lawrence va par ailleurs découvrir un secret bien caché par le précédent souverain pontife.
Critique : Le pape est mort. Vive le pape ? Avant d’apercevoir la fumée blanche, un conclave, un vote de cardinaux venant du monde entier, doit avoir lieu pour désigner le nouveau souverain pontife. L’idée scénaristique la plus judicieuse du film d’Edward Berger est sans doute d’avoir fait du doyen du collège des cardinaux, l’organisateur de cet événement aux enjeux élevés, le héros du film. La première séquence, une suite de plans de dos, la caméra collée à la nuque du personnage, donne le ton. Suivant le cardinal Thomas Lawrence (Ralph Fiennes), nous sommes autorisés à voir les coulisses de l’évènement, plus encore son ouvrage, sa confection.
- Ralph Fiennes
- © 2024 Diamond Films. Tous droits réservés.
Cette dimension documentaire, qu’on imagine documentée (faute d’expertise sur le sujet, on croit le film sur parole), est tout de suite mise en balance – dirons les laudateurs du film – en conflit – choisira-t-on plutôt –, avec le traitement ouvertement spectaculaire de l’arène par le cinéaste. Comme inquiet de laisser une partie de son public sur la touche, Edward Berger (réalisateur de la nouvelle version de À l’Ouest, rien de nouveau), contrecarre le déroulement minutieux du sede vacante par une mise en scène des plus pompières. Arrivée des cardinaux ; déplacements en bus ; fenêtres scellées (durant toute la durée du vote, ceux qui y prennent part n’ont pas le droit de sortir du conclave et aucune information extérieure ne doit leur parvenir) ; sœurs qui s’activent dans l’ombre et en cuisine pour que ces messieurs réfléchissent ; cardinaux en conciliabule, clope au bec, entre deux votes... Nous sommes ravis de voir et de découvrir tous ces éléments, mais sont ils quelque peu gâchés, rendus sur-expressifs par des gros plans et des inserts soulignés d’une musique aux cordes démonstratives. Ce cadrage récurrent sur les détails fait penser à un précédent film scénarisé par Peter Straughan, La Taupe de Tomas Alfredson, mais dans le contexte d’un polar paranoïaque, ces plans rapprochés étaient autant d’indices ou de fausses pistes. Ici, bien que l’intrigue cultive par ailleurs un aspect enquête bienvenu, ces plans sont bien davantage expressifs (et même sur-expressif, donc) que signifiants. Les coups de forces stylistiques visent seulement l’emphase dramatique, celle de faire revêtir à l’action la plus anodine un caractère de tragédie en marche.
Le cinéaste a tort de craindre notre ennui. Le scénario à lui tout seul, égrenant les rebondissements tous les quarts d’heure, est rythmé comme une série télévisée. Son enjeu même (qui des quatre ou cinq prétendants à la papauté – libéraux ou conservateurs – sera élu ?) reproduit des ficelles ayant largement fait leurs preuves dans nombres de films et séries prenant place au cœur de l’arène politique. De vote en vote, d’un candidat favori en nouveau scandale lui faisant perdre son avance, le film monte en tension jusqu’au twist final. D’ennui, il n’est donc jamais question, surtout associé à la patine grave et sensationnelle d’une œuvre qui profite à plein de son décorum pour aligner les plans composés et autres ralentis spectaculaires. Malgré son caractère un peu bourrin, cette esthétique donne à voir ce qu’il y a de plus séduisant et impressionnant dans les décors du Vatican ou les apparats magnifiques des cardinaux.
- John Lithgow, Ralph Fiennes
- © 2024 Diamond Films. Tous droits réservés.
Là réside sans doute la grande faiblesse de Conclave. Edward Berger et son scénariste, Peter Straughan, semblent moins intéressés par la religion catholique, ses spécificités, son administration, les débats internes qui la rendent contemporaine et vivante, que par le cinéma dopé aux moments d’intensité dramatique qu’ils peuvent en tirer, souvent artificiellement. À plusieurs moments, les personnages, tous religieux, font état des difficultés qui les saisissent. Difficulté dans la prière pour l’un, doute non pas dans sa foi mais dans l’Église pour l’autre. Mais que cela veut-il dire ? Dans la pratique du catéchisme ou dans l’organisation du culte à travers le monde, comment cela se concrétise-t-il ? Voilà des questions passionnantes auxquelles le film n’apportera aucun approfondissement. L’intrigue pourrait se dérouler les jours qui précèdent un vote à l’Assemblée ou chez des mafieux au moment de la mort du parrain, elle n’aurait été bien différente.
Regrettable. Les quelques scènes que le film ébauche sur ces sujets sont ses plus fortes. En tête, une homélie joliment écrite sur le doute comme moteur et non obstacle à la foi, ou une conversation entre Lawrence et le cardinal Tedesco sur l’importance de la langue dans les débats religieux qui animent les forces en présence – la cohabitation de l’anglais, l’italien et d’un peu d’espagnol dans le film est une des forces du long-métrage. Quel dommage que ces considérations ne soient pas davantage mises en scène. En l’état, les quelques discussions moins comptables (combien de vote pour quel candidat ?) que théoriques et théologiques sont menues et souvent écrites à gros traits (les méchants sont islamophobes et homophobes, les gentils prônent la tolérance). Si ces réflexions sont brûlantes dans les débats concernant l’Église catholique de nos jours, on en ressort avec l’impression de n’avoir rien appris. Une bévue pour un film qui se proposait d’explorer un monde trop peu représenté au cinéma. Conclave reste comme un (plutôt) joli verni recouvrant une toile trop vide. Accaparé par son baroque, sa débauche de moyens, Edward Berger rate le beau et riche sujet qu’il esquisse.
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