Le 30 août 2018
Jean-Marc Vallée revient à la série, et cela lui réussit bien. Le réalisateur canadien profite d’une équipe talentueuse pour une adaptation sensorielle et rugueuse du premier roman de Gillian Flynn, à deux doigts de faire oublier son caractère trop stéréotypé et statique.
- Réalisateur : Jean-Marc Vallée
- Acteurs : Patricia Clarkson, Amy Adams, Chris Messina
- Genre : Drame, Thriller
- Nationalité : Américain
- Date de sortie : 8 juillet 2018
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Résumé : Camille Preaker, reporter, sort tout juste d’un bref séjour à l’hôpital psychiatrique. Elle retourne dans la ville de son enfance pour tenter de résoudre le meurtre de deux jeunes adolescentes auxquelles elle s’identifie énormément...
- Copyright : HBO
Notre avis : Connu il y a encore peu pour ses réalisations académiques pas très bouleversantes, Jean-Marc Vallée est parvenu, grâce à la la télévision, à se libérer de ces carcans d’œuvre à Oscars, branche de Hollywood qui ne suscite pas vraiment d’engouement si ce n’est de la part de l’Académie (et encore, ce n’est pas toujours le cas). Depuis son dernier film en 2015, le touchant mais oubliable Demolition, le Canadien officie sur le petit écran, et renoue avec le succès par ce biais-là, en même temps qu’il profite d’une liberté artistique accrue, que l’on reconnaît désormais au médium télévisuel. Big Little Lies était sortie grande gagnante des Emmy Awards, si bien que HBO et le réalisateur ont prolongé leur collaboration avec Sharp Objects, adaptation d’un roman de Gillian Flynn, définitivement tendance dans le milieu cinématographique (avec Sharp Objects, toutes ses œuvres ont été adaptées à l’écran, en l’espace de 4 ans). Étonnamment au vu de la réputation de l’auteure, cette mini-série de 8 épisodes ne brille pas par son écriture policière. Faux thriller qui nous annonce d’abord une enquête sur un serial killer, Sharp Objects délaisse presque totalement l’investigation pour retrouver le meurtrier, au point que l’identification du coupable ne résulte même pas d’une recherche approfondie du coupable mais d’un déclic de la part d’un des personnages.
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Sharp Objects se sert de son enquête comme un prétexte pour justifier le retour au bercail de sa protagoniste, postulat ô combien éculé, et de là ainsi ausculter une communauté recluse et une famille pleines de tensions et de non-dits destructeurs. Les remous du passé (lourd passé, forcément) cristallisent cette décortication de mœurs enfouis derrière une série de faux-semblants, de commérages et surtout de leurs répercussions chez les personnages. L’écriture de Flynn se retrouve parfaitement dans ces thématiques, avec énormément de qu’en-dira-t-on et un attachement particulier pour leur impact très important sur la narration et la psychologie des personnages. Bien évidemment, on connaît la musique lorsqu’est introduit le personnage de Camille. Aussi talentueuse que peut être Amy Adams, difficile d’ajouter de la subtilité à un protagoniste écrit avec la balourdise de Mouloud Achour lorsqu’il pose une question sociale à son invité. Au moins ne sonne t-elle pas aussi faux que Rachel McAdams dans True Detective, mais les ingrédients restent similaires : attitude désinvolte, voix renfrognée et quelques addictions par-ci par-là. Même si elle ne sortira jamais vraiment de cette image stéréotypée avec son personnage trop dark, Sharp Objects se libère progressivement de son entrave à mesure qu’elle affirme son détachement envers le thriller pour lorgner vers le drame familial pesant.
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Sharp Objects ne se cache pas longtemps : il n’est pas question de raconter une histoire, mais de retranscrire des sensations oppressantes par la seule présence de l’environnement du Sud et des habitants de Wind Gap, pour la plupart d’une extrême banalité et hypocrisie. La série montre les déambulations de ses protagonistes dans ce bled caniculaire, voguant de rencontres en rencontres, mais également de souvenirs en souvenirs pour Camille, relevant la douleur chez ce personnage par l’incursions d’images fortes, rendues viscérales par leur fugacité et sécheresse. S’appuyant sur un montage remarquable pour extraire l’âpreté de ces souvenirs, Jean-Marc Vallée et ses six différents monteurs (rien que ça) confrontent le spectateur à des flashback impromptus déstabilisant car jouant sur le caractère incontrôlé de leur apparition. Comme si les deux rentraient en collision, la timeline du présent et celle du passé se rejoignent pourtant en de nombreux points et permettent au spectateur de plonger dans la destruction d’une cellule familiale, dont l’épicentre matriarcal dérange progressivement. Ce que les dialogues surlignent sans finesse, et cela restera la plus grande tare de la série, la mise en scène le montre avec une certaine maestria. La violence contenue s’exprime comme des coups de fouet, et le rythme lent, s’il demande de s’y accoutumer, appuie cette sensation de malaise ne quittant rarement la série. L’atmosphère lourde confère à Sharp Objects toute son aura et offre un degré de profondeur asphyxiant au final, glacial, presque cauchemardesque, éclipsant les trop nombreux ventres mous des huit épisodes.
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Alors que le monde extérieur ne cesse de se rappeler au spectateur par l’omniprésence de grillons / criquets / commères / autres bestioles communiquant par messes basses, ajoutant un peu plus de pesanteur à l’ambiance, l’isolement règne dans Sharp Objects. Dès l’arrivée à Wind Gap, plus moyen de la quitter. Même lorsque l’action ne s’y déroule pas, un ou plusieurs éléments viennent toujours à rappeler sa présence insistante (dans le final, il s’agit de la maison de poupée). La communauté est fermée, tient à le rester (elle rejette totalement la présence d’un policier extérieur à la ville) et jouit de ses propres traditions (morbides). Imaginée comme une prison avec ce que ça implique comme impossibilité d’en sortir, la petite ville concentre une population où tout le monde pense connaître tout le monde, jusqu’à convaincre le spectateur de la même chose. Auteure des Apparences, Gillian Flynn se joue de nos certitudes avec le talent qu’on lui connaît en la matière jusqu’au coup de massue. Tout repose sur les faux-semblants. On nous avait exposés leur présence, grâce au regard clairvoyant (mais pas assez) de Camille et malgré tout Sharp Objects a su nous berner. La série nous a fait regarder à droite, vers l’évidence, quand il fallait regarder à gauche. Kansas City Shuffle, coup du lapin psychologique, moral brisé, fin.
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