Chronique d’une mort prévisible ?
Le 27 mars 2002
Comment une simple chemise rose - contenant tout de même le dossier des HLM de Paris - a détruit la vie d’un juge.
- Auteur : Eric Halphen
- Editeur : Denoël
- Genre : Document
- Nationalité : Française
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Le juge Halphen, exerçant son métier au Tribunal de Grande Instance de Créteil (Val de Marne) depuis 1989, a été en charge pendant 7 ans de l’instruction du dossier des HLM de Paris, avant d’en être dessaisi en septembre 2001 par la cour d’appel de Paris.
Sept ans pendant lesquels le juge Halphen a mis au jour une corruption généralisée à un vaste système politico-financier dans lequel étaient impliquées des personnalités aux fonctions politiques très élevées ; sept ans pendant lesquels le juge Halphen a procédé, sous les feux de l’actualité et ce malgré lui, à des mises en examen de ces personnalités, à des perquisitions aux sièges de partis politiques et à la convocation comme témoin du président de la République. Sept ans dans l’ombre d’un cabinet à travailler obstinément, à "œuvrer pour éviter l’injustice, à faire en sorte que la Justice soit la même pour tous".
Sept ans à l’issue desquels Eric Halphen, l’homme qui se cache derrière le "juge Halphen" ne croit plus ni en l’indépendance de la justice, ni en l’impartialité de la police, ni en la loyauté des avocats, ni en l’honnêteté des journalistes. Quant à croire à la démocratie française... Et croit-il seulement encore en lui ?
On serait tenter de penser que non, puisque, à l’instar d’Eva Joly et de Laurence Vichnievsky, toutes deux chargées de l’affaire Elf et ayant récemment quitté l’instruction des dossiers financiers, le juge Halphen a demandé et obtenu une mise en disponibilité pour convenance personnelle. [1]
Tout semblait pourtant avoir bien commencé pour ce jeune et brillant juge d’instruction, parti faire ses armes dans le Nord et qui rejoint Créteil après un ennuyeux passage au tribunal de Chartres. Avant de se spécialiser dans l’instruction financière, Halphen découvre la banlieue : le trafic de stupéfiants lié à la présence de l’aéroport d’Orly et la délinquance qui en découle, les Halles de Rungis qui "apportent aussi leur lot de magouilles financières qu’on subodore sans jamais parvenir à les percer, d’incendies criminels pour toucher les primes d’assurances", les violences urbaines, le malaise de la police. Le tribunal de Créteil, c’est aussi une somme démesurée de travail, le sous-effectif chronique des juges, les centy qurante dossiers à traiter de front.
Et puis un jour, "le dossier arrive. Une simple chemise rose, émanant des services fiscaux, renfermant quelques feuillets dactylographiés. Ces notes évoquent un chef d’entreprise du Val de Marne, des paiements de certaines sociétés dirigées par l’individu en question vers d’autres sociétés ou groupements d’entreprises. Le fisc semble trouver cela douteux, et se demande s’il ne s’agit pas en fait de fausses factures".
Halphen explicite de façon pédagogique et synthétique les faits qu’il est amené à découvrir au cours de l’instruction, faits largement repris dans la presse et qu’il enrichit de ses propres hypothèses et de son point de vue. Secret de l’instruction oblige, on est censé ne rien apprendre à la lecture du récit du juge Halphen. Rien sauf tout ce qui a pu concerner l’existence de l’homme qu’a masqué l’action du juge.
Rien, sauf les coups bas, les bâtons dans les rouages de l’instruction, les propos diffamatoires, les poursuites par les paparazzi, les demandes en annulation d’avocats véreux, les refus systématiques de réquisitoires supplétifs de la part d’un Parquet qui, non content d’afficher une "stratégie officielle de non-solidarité" envers Halphen, utilise en plus des pratiques totalement illégales, comme par exemple recevoir des avocats du dossier à l’insu du juge pour évoquer avec eux des tactiques à adopter pour bloquer l’instruction. On n’apprend rien non plus sur l’affaire Schuller-Maréchal, tentative avortée de déstabilisation d’Halphen, rien sauf l’ébranlement moral irréversible de l’homme et le naufrage de son couple...
On sort de la lecture de Sept ans de solitude radicalement abasourdi et naïvement écœuré devant le fonctionnement du système judiciaire et politique français, parce que, ainsi que le souligne Halphen, ce n’est pas de la corruption dans on ne sait quelle dictature africaine dont on parle, mais bien de la corruption en France. On en sort aussi béatement admiratif devant l’acharnement d’Halphen et puis aussi secrètement honteux : parce qu’à la moitié du livre, perdant patience et espoir, on a envie de le jeter par la fenêtre en hurlant "tous pourris" alors qu’il y a encore ce juge magnanime qui, malgré son désabusement, puise dans une courageuse rationalité pour rendre hommage aux avocats et aux élus qui ne baignent pas dans la corruption, pour défendre le métier de juge d’instruction et pour proposer des solutions à l’indépendance de la justice, à la double tutelle de la police.
Dédié "à tous ceux qui, quel que soit leur métier, tentent de l’exercer avec persévérance, compétence et courage", Sept ans de solitude s’achève sur un appel (sobre ? tragique ? inutile ?....en tous cas sincère) aux citoyens que nous sommes pour qu’à notre tour nous nous invitions dans les affaires de ceux qui nous gouvernent et endiguions le délitement de notre démocratie. Rude responsabilité qui soudain nous incombe car effectivement, en refermant ce livre, on ne pourra plus "à l’avenir, lâcher cette phrase trop facile, trop entendue en d’autres occasions : je ne savais pas".
Eric Halphen, Sept ans de solitude, Denoël, coll. "Impacts", 2002, 249 pages, 19 €
[1] cf. Le départ de trois juges symboles scelle la fin d’une époque, Le Monde, 14/03/02, p.12
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