Roulette chinoise - la critique du film

Notre avis : Tourné la même année que Le rôti de Satan, Roulette chinoise est une manière de concentré qui cristallise les thèmes et les éléments formels chers à Fassbinder. Quelques personnages reclus dans un château où ils n’auraient pas dû être, des secrets et des sentiments exacerbés, des miroirs et des reflets divers, l’impossibilité de se retrouver seuls (tous s’épient sans fin), la question du passé nazi : rien ne manque, même pas la « famille » du cinéaste, ici complétée par les Françaises Anna Karina et Macha Méril, coproduction oblige. On se sent donc en terrain conquis, à l’aise avec les déclinaisons d’un univers bien déterminé.

ROULETTE CHINOISE © 1976 RAINER WERNER FASSBINDER FOUNDATION. Tous droits réservés. RESTAURATION © 2015 RAINER WERNER FASSBINDER FOUNDATION. Tous droits réservés.

Et pourtant quelque chose cloche. Certes la caméra de Fassbinder fait toujours merveille à traquer des visages ou des corps en quasi-chorégraphie, prenant des poses ou se mouvant de manière très précise. On s’enchante aussi de trouvailles comme le plexiglas qui enferme la chaîne hi-fi ou le bar, véritables symboles de cette famille emprisonnée dans un lacis de rapports toxiques. Mais dans ce jeu sur le mensonge et la vérité, les haines recuites et les non-dits, le cinéaste a eu la main un peu lourde : entre les références, de Rimbaud à Nietzsche, le choix des noms (Christ, Gabriel, Angela), le nombre de silences qui entrecoupent les questions et les réponses de la fameuse « roulette chinoise », les regards lourds de sens et un passé trouble qu’on ne connaîtra pas, le film tend à la caricature, d’autant que Fassbinder ajoute des points annexes et sur-signifiants, comme le garagiste qui « connaît l’enfer » ou le faux aveugle. On a alors parfois l’impression que la belle mécanique tourne à vide, sans inspiration nouvelle.

ROULETTE CHINOISE © 1976 RAINER WERNER FASSBINDER FOUNDATION. Tous droits réservés. RESTAURATION © 2015 RAINER WERNER FASSBINDER FOUNDATION. Tous droits réservés.

Non pas que Roulette chinoise soit inintéressant : outre le fait qu’on y déniche de magnifiques séquences (la danse avec les béquilles, le coup de feu final), le scénario comporte assez d’éléments forts pour fasciner. Parmi eux, le rôle du handicap, physique pour Angela ou la gouvernante muette (comme dans Les larmes amères de Petra von Kant et moral pour la plupart des personnages dont certains se haïssent avec une vigueur peu commune. Fassbinder s’attaque même à un tabou, la détestation d’une fille par sa mère, deux fois tentée de la tuer. Et Angela elle-même, adolescente trop mure et manipulatrice, qui veut traiter les humains comme ses poupées, est sans doute l’un des rôles les plus durs de sa filmographie.
Mais au bout du compte, surtout si on aime Fassbinder, ce métrage n’emporte pas tout à fait l’adhésion. Il apparaît néanmoins nécessaire, comme un récapitulatif avant les grands chefs-d’œuvre de la fin. Étape plus qu’aboutissement, Roulette chinoise est certes une déception, mais une déception à beaucoup d’égards passionnante.