Littérature
Le 4 juillet 2022
Quand une auteure règle ses comptes avec sa propre adolescence.
- Auteur : Anne-Sophie Brasme
- Editeur : Fayard
- Genre : Roman & fiction
- Nationalité : Française
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Critique : Au premier abord, Respire sonne comme une fiction-dissertation, proprement écrite par une jeune fille qui décrit un univers qu’on imagine avoir été, de près ou de loin, le sien, celui d’une enfant devenue adolescente et mal dans sa peau, puis un univers qu’elle ne connaît, celui de la prison où elle enferme son héroïne, Charlène Boher.
D’emblée, Anne-Sophie Brasme force Charlène à avouer devant nous le crime qu’elle a commis, à 16 ans, comme elle l’a avouée à la cour lors de son procès, l’assassinat de sa meilleure amie, Sarah. A partir de cet aveu, Anne-Sophie Brasme tente de nous expliquer pourquoi Charlène en est venue à cet acte criminel.
Tous les arguments sont bons pour nous démontrer le caractère absolument nécessaire de l’acte, nécessaire dans le sens qui ne pourrait pas ne pas être. L’auteur fait de son personnage un pantin au service d’une fin, ne lui offrant jamais d’autre issue que celle, dramatique, d’une auto-destruction complaisante. Car Charlène n’émeut pas, elle fait pitié. Anne-Sophie Brasme a t-elle véritablement voulu nous donner une image aussi austère et médiocrement tragique de cette adolescente éprise d’une folle passion pour une autre adolescente ? Il y a un incompréhensible acharnement dans le roman de Brasme (comme une malveillance qui cache mal un règlement de compte avec sa propre adolescence) à faire de Charlène une fille ratée, qui ne trouve jamais de raison pour prendre le dessus sur sa nature faible, soumise, dépendante et masochiste. De l’autre côté, il y a Sarah, la jeune fille parfaite, ambitieuse, sociable, dominatrice, dotée d’une cruauté parfois à peine vraisemblable, mais que l’on comprend presque quand elle exhorte Charlène à "se bouger". Les deux personnalités sont finalement assez peu intéressantes, parce que leurs actes sont dictés à l’avance par l’auteur qui fait tout pour les opposer, pour rendre la situation plus inextricable, au final très caricaturale.
Et pourtant, s’il y a un premier abord, il y en a aussi un second. Pendant le dernier tiers du roman, on enjambe les obstacles de la première partie parce que subrepticement, on se met à espérer. Maxime, on l’attendait celui-là, on le sentait venir, on désespérait qu’il finisse par exister, et par permettre à Charlène de prendre enfin vie sous la plume d’Anne-Sophie Brasme, de s’octroyer quelques libertés, de prendre des décisions, d’agir, d’être et de ne plus subir. En même temps, on se doute que Maxime n’est que la dernière inspiration/respiration avant que la tête ne replonge dans le marasme de l’amitié folle et suicidaire.
Charlène devient capable d’agir, elle devient un être pensant et responsable, et elle finit par faire ce qu’elle a commencé par nous avouer, elle prend la décision qui délivre, elle tue cette Autre qui l’a empêchée d’exister. Dans une attente perverse, on souhaite presque que se commette ce crime qu’on connaissait déjà à l’avance mais qu’on trépignait de voir s’accomplir parce qu’enfin il signifie la libération de cette héroïne sans libre arbitre, même s’il signifie simultanément son emprisonnement.
Alors, au dernier abord, on se dit que ce n’est plus du tout une sage dissertation d’une première de la classe qu’on est en train de lire, mais la version moderne d’une véritable tragédie sobre et glaciale. On pourra regretter que l’enfance puis l’entrée dans l’adolescence de Charlène soit décrite avec des poncifs un peu trop couramment lus (les récits de vacances, les rentrées scolaires), on pourra s’agacer de cette conspiration manigancée par l’auteur pour faire de Charlène une fille désespérément malheureuse (le père absent, la mère froide et mal aimante, les conflits familiaux, l’amie traître et égoïste). Et pourtant, on appréciera finalement de sentir un picotement au cœur quand Charlène rencontre à nouveau son amie d’enfance qui lui propose son aide et qu’entêtée dans son malheur (à nouveau marionnette sans volonté dans les mains de l’auteur), elle refuse ; et on aimera aussi de ressentir un vrai déchirement quand elle écarte le patient et doux Maxime de son chemin.
Inégal, le premier roman d’Anne-Sophie Brasme ne se balaie pas d’un revers de la main ; on voudrait qu’un grand vent de liberté envahisse la plume de ce jeune écrivain, que ses personnages prennent de l’ampleur, de la profondeur, que les ficelles avec lesquelles elle les manipule deviennent invisibles, et qu’enfin, après une réelle existence, elle leur donne le choix de les jeter en prison ou de les acquitter, qu’elle leur donne une chance.
Anne-Sophie Brasme, Respire, Fayard, 2001, 150 pages, 12,04 €
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