Le 19 septembre 2006
- Acteur : Eduardo Noriega
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Entretien avec la star à l’occasion de la sortie de son nouveau long, La méthode.
Latin lover, objet de fantasme féminin, mais surtout acteur exigeant aux choix décalés, intuitifs et profonds, Eduardo Noriega est le visage du nouveau cinéma espagnol, celui-là même qui a émergé dans les années 90 avec des productions au succès international comme Tesis ou Ouvre les yeux. Même s’il est encore méconnu du grand public français, Eduardo est toutefois l’un des rares comédiens ibériques célèbres des cinéphiles gaulois pour avoir tourné devant la caméra de cinéastes comme Alejandro Amenabar ou Guillermo del Toro, et avec des comédiens comme Patrick Bruel ou Vanessa Paradis. Un grand nom qui déplace les foules dans son pays natal et qui ne demande qu’à briller de tous ses charmes sur nos terres, ce que lui permettra peut-être La méthode, l’excellent film de Marcelo Pineyro dans lequel il partage l’affiche avec la troublante Najwa Nimri. Les amateurs d’humour grinçant vont se régaler. Les midinettes aussi...
Tu es en France pour présenter La méthode, qui sort le 22 septembre. Le scénario est basé sur une pièce catalane à succès. Tu peux nous en dire un mot ?
Sans cette pièce, il n’y aurait pas eu de film, même si celui-ci est bien différent. Le cinéaste et le scénariste, Matéo Gil ont beaucoup changé de choses. Mais ils en ont gardé la même essence. Le film a pris un autre chemin pour aborder finalement les mêmes thèmes et dire la même chose.
On dit le film édulcoré par rapport à la pièce...
Non, je ne pense pas ; la pièce contient plus d’humour à mes yeux. Le long métrage, même s’il est drôle par moment, est davantage axé sur l’aspect dramatique. Le film et la pièce sont bien différents encore une fois. Dans cette dernière il n’y a que quatre personnages. On y découvre que trois d’entre eux appartiennent en fait à l’entreprise pour laquelle ils sont censés postuler alors qu’en fait ils sont là pour tester le candidat à recruter. Dans l’adaptation cinéma, les candidats sont sept et seulement l’un d’entre eux travaille pour l’entreprise. Les enjeux ne se dessinent pas de la même manière. Le film parle de notre capacité à nous dévorer et essaie de nous montrer qu’il existe des choses plus importantes que l’argent et la position sociale.
Tu retrouves ici le réalisateur Marcelo Pineyro avec qui tu avais déjà tourné (Vies brûlées) et le scénariste Matéo Gil pour qui tu avais déjà travaillé en 1999 dans Jeu de rôle. Est-ce que cela t’a permis d’entrer plus facilement dans le film ?
Je connais ce projet depuis le tout début. C’est le producteur, Paco Ramos, qui nous a proposé la pièce. Il m’a demandé si j’étais intéressé et, bien sûr, le nom du cinéaste et la qualité du casting, très célèbre de par chez nous, m’ont tout de suite incité à accepter. Un projet attirant, certes, mais comportant également des risques réels, car adapter au cinéma une pièce de théâtre dont l’action se déroule autour d’une table de réunion, ce n’était pas évident.
Ton personnage n’est pas très positif. Comment as-tu abordé ce personnage froid et calculateur qui va jusqu’au bout de ses ambitions ?
Ce personnage était difficile à cerner sur un plan idéologique. Il est capable de tout pour l’emporter. C’est un battant ! Pourtant je lui ai trouvé une certaine humanité. On ne peut pas se permettre de le juger complètement, cela serait trop facile. Il est capable de comprendre que les gens face à lui sont comme lui, dans la même position. Il se retrouve en eux. Cependant il va jusqu’au bout. Il s’adapte et apprend rapidement les règles du jeu. Il y joue avec énergie, mieux que personne.
Certes, tous ces candidats sont logés à la même enseigne, mais lui se distingue par son milieu social élevé...
Oui, pour lui ce job n’est qu’une étape de plus dans sa carrière. Il compte se servir de cette place pour rebondir ailleurs, tandis que pour les autres, il s’agit de l’opportunité d’une vie.
Dans ce film, il y a une opposition entre le sommet de la tour incarné par l’entreprise, le pouvoir, et l’économie, et le pied de la tour caractérisé par des manifestations virulentes dans la rue contre le FMI. Le chaos semble l’avoir emporté dans le bas monde tandis que le pouvoir jouit encore d’une impunité intolérable Quel est exactement le message du film ?
Je pense que cette histoire de compétition est là pour nous parler de notre capacité à nous dévorer, comme par fatalité La manifestation à l’extérieur enferme les protagonistes dans une tour d’ivoire où ils sont emprisonnés comme des animaux, loin des contingences de la vie qui vont pourtant les rattraper.
Revenons maintenant sur ta belle carrière... Tu es l’un des seuls comédiens espagnols qui a réussi à se faire une petite réputation dans l’Hexagone...
Etre célèbre en France, ce n’est pas facile. Le cinéma espagnol parvient difficilement à trouver des distributeurs chez vous et quand nos films sortent, ce ne sont pas de gros succès. Je ne savais pas que les Pyrénées étaient aussi hautes ! Mais c’est vrai, il y a une vraie barrière qui se dresse entre nos deux pays et je ne pense pas que ce soit une question de langue, car le cinéma parle d’une même langue. Nous-mêmes en Espagne, nous n’avons pas l’occasion de voir des productions européennes. Il faut se rendre à Madrid et à Barcelone pour y découvrir des productions étrangères, car dans le reste de l’Espagne, mis à part nos productions locales et les blockbusters américains, rien n’est distribué. C’est incroyable la chance que vous avez à Paris ! Tout ce choix... Mis à part à Londres, nulle part en Europe on ne peut trouver une telle programmation, même si on y trouve finalement assez peu de longs métrages espagnols, à part ceux d’Almodovar et peut-être ceux de Julio Medem.
Le cinéma français est le premier marché européen. Est-ce pour cela que tu as tenté une percé sur notre territoire via Mon ange ou Novo ?
Ce n’est pas seulement parce que c’est le marché le plus important à l’échelle européenne, mais c’est surtout parce que j’aime bien votre cinéma. Je saisis les opportunités quand elles sont de qualité. Et il est vrai qu’en plus la France a une capacité de vente qu’on n’a pas en Espagne.
Tu as une carrière exigeante. Là où certains se seraient contentés d’exploiter leur belle gueule dans des rôles faciles, tu t’es orienté vers des personnages assez sombres et audacieux, dans un cinéma souvent alambiqué et métaphorique. Comment choisi tu tes rôles ?
Je ne choisis pas volontairement une orientation vers le cinéma sombre, mais c’est vrai que parmi les personnages que j’ai incarnés, nombreux sont ceux qui se démarquent par leurs singularités et leurs tourments, un peu comme mon personnage dans L’échine du diable. Ce n’est pas prémédité, mais j’affectionne les personnages contradictoires, qui ne sont pas d’une seule couleur, mais bien de mille couleurs, à l’image de l’être humain, qui n’est ni bon ni mauvais, ni noir, ni blanc.
Tu as été révélé dans Tesis d’Amenabar, un cinéaste qui a nourri depuis des ambitions américaines (Les autres).Et toi, pourquoi n’utilises-tu pas ta notoriété pour t’imposer aux States, un peu comme Antonio Banderas l’a fait dans les années 90 ?
En fait je viens de tourner aux USA Che Guevara de Josh Evans, une production indépendante, et cet été j’ai tourné dans un film hollywoodien plus important avec des stars comme Sigourney Weaver, William Hurt, Forest Whitaker, Dennis Quaid. A big project.
Tu te sens donc prêt aujourd’hui à embrasser une carrière américaine...
Hum... Oui, mais seulement si on m’offre le projet idéal. Je ne veux pas tourner là bas juste pour y faire carrière. Je ne veux pas jouer les latin lovers ou tout autre stéréotype qu’Hollywood propose aux Portoricains ou aux gars d’Amérique Latine. L.A. ne m’attire pas plus que cela. L’Europe ou l’Amérique du Sud ont tellement à offrir de leur côté. Mais bon si on me propose un bon scénario aux USA, je ne dirai pas non.
Et pourquoi n’y a-t-il toujours pas de titres d’Almodovar ou de Julio Medem dans ta filmographie ?
Je me le demande aussi... (rires). Je les admire beaucoup ; j’aimerais beaucoup travailler avec eux. J’ai bossé sur deux films avec Almodovar, notamment sur un projet bien avancé, il y a trois ans, avec des tests vidéo, des costumes... Mais finalement Pedro a décidé de ne pas mener le projet à terme. Mais je ne désespère pas : on travaillera un jour ensemble, j’en suis persuadé. Sinon il y a des réalisateurs plus âgés avec qui j’aimerais bien tourner, comme Carlos Saura ou Bigas Luna. Et puis j’aimerais bien retrouver Amenabar...
Propos recueillis à Paris le 12 septembre 2006
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