Le 14 octobre 2005
- Réalisateur : Doug Headline
A l’occasion de la sortie du Petit bleu de la côte Ouest, les réactions de Doug Headline, éditeur, réalisateur... et fils de Manchette.
Dans les années 70, Jean-Patrick Manchette bousculait toutes les conventions littéraires en prouvant par des polars au style sec et très contemporain qu’il existait une alternative à Simenon et Malet. La littérature policière devait y retrouver une classe et une ambition salvatrices qui, dix ans après la mort de l’auteur, inspirent toujours bon nombre de créateurs, dont Tardi, qui avec son adaptation du roman Le petit bleu de la côte Ouest signe un de ses plus beaux albums. Afin de mieux cerner les raisons de cette parfaite osmose entre le romancier et le dessinateur, auxquels on devait déjà Griffu [1], aVoir-aLire a rencontré Doug Headline, fils de Manchette, qui en plus de ses talents d’éditeur et de réalisateur [2], possède celui de valoriser de belle manière les romans de son père.
Tardi avait déjà travaillé sur l’œuvre de votre père, mais de son vivant. Comment est né ce désir d’une nouvelle adaptation dix ans après sa mort ?
C’est un désir qui remonte à près de trente ans. En 1977, Tardi et Manchette avaient décidé d’une adaptation de Fatale, roman qui à l’époque n’était pas encore entièrement écrit. Puis, nul ne sait trop pour quelles raisons, si ce n’est que le matériel à adapter ne leur paraissait peut-être pas idéal pour une transposition en bande dessinée, ils ont laissé Fatale de côté pour répondre à une demande des Editions du Square, qui a abouti à la naissance en 81 de Griffu dans BD Hebdo.
Tardi a le souvenir que la réalisation de l’album a été assez difficile à cause du rythme de travail très soutenu qu’impliquait une parution hebdomadaire, mais aussi à cause de l’ambiance trop alcoolisée qui régnait aux éditions du Square, qui rappelons-le étaient dirigées par Wolinski ! Tardi trouvait du coup la fin de Griffu un peu bâclée et je crois qu’il en avait conçu une sorte d’impression d’inachevé, d’inabouti, comme si sa collaboration avec Manchette était un peu restée en plan. D’où son envie, mûrie de longue date, de le retrouver un jour. L’attente aura été longue mais les retrouvailles valaient bien de patienter un peu.
L’osmose entre Manchette et Tardi sur Le petit bleu semble évidente. Quels étaient les points communs des deux hommes ?
Tardi et Manchette partageaient un même pessimisme quant à l’évolution du monde, ainsi qu’un paradoxe : celui d’être introverti tout en étant capable de communiquer de manière brillante avec le monde extérieur via leurs œuvres respectives. Ils partageaient également une obsession du détail et de la précision, ainsi qu’un goût immodéré pour le travail.
Verriez-vous d’autres dessinateurs capables d’adapter l’œuvre de Manchette ?
Tardi est unique. Cela dit, il serait intéressant de voir d’autres dessinateurs, ici ou ailleurs, donner leur propre lecture de Manchette. J’imaginerais assez bien la Position du tireur couché adaptée par David Lloyd [3], par exemple.
L’œuvre de Manchette a connu dans les années 70 et 80 de nombreuses adaptations cinématographiques, dont celle du Petit bleu [4]. Manchette sur grand écran c’est terminé ?
Toutes les adaptations précédentes, à l’exception de Nada de Claude Chabrol, sont au mieux très faibles et au pire nulles. On pouvait rêver à de meilleurs films tirés des livres de Manchette. Et il semble que nous tenions un occasion de rattraper la chose puisque certains projets sont très avancés, comme l’adaptation de La position du tireur couché, produit par le Studio Canal et Lion Rock, la société de production de John Woo et Terence Chang. Le projet s’inscrit dans la "Thriller collection", une série de remakes de trois films policiers français des années 70/80, dont Le choc [5].
Un film qui n’aura pas marqué l’histoire du cinéma...
Tout le monde est en effet tombé d’accord pour dire qu’il fallait jeter au panier ce film effroyable et repartir du roman d’origine. La position du tireur couché devrait donc se tourner en anglais à la fin 2006 pour un budget d’environ quinze millions de dollars. Il y a aussi des adaptations de Laissez bronzer les cadavres et de Ô dingos ô châteaux en cours d’écriture et des demandes d’option sur plusieurs autres titres.
Cette vague d’adaptations voudrait-elle dire que Manchette, le fondateur du néo-polar, n’a pas eu de vrais successeurs capables de nourrir le cinéma ?
Aucun doute. Manchette a ouvert un champ d’exploration et l’a refermé lui-même. Plein de gens ont essayé de l’imiter, en s’imaginant qu’il y avait dans son travail des recettes qu’il suffisait de reproduire : comportementalisme du style, utilisation de thèmes politiques contemporains, etc. C’était bien entendu un raisonnement insuffisant. Il serait absurde de vouloir l’égaler et son talent était trop particulier pour qu’il ait véritablement fait école au niveau stylistique - en dehors de Jean Echenoz qui n’exercerait peut-être pas son métier de la même manière s’il n’avait pas lu et connu Manchette, et qui d’ailleurs le dit volontiers lui-même. Sur le plan de la critique sociale "dure", je ne peux rien dire car je ne lis presque jamais de polars français, encore moins depuis la mort de Pierre Siniac. Je les trouve tous faibles, comparés à Manchette.
Propos recueillis le 8 octobre 2005
[1] * Un tome aux éditions Casterman
[2] ** Doug Headline est le fondateur des éditions Zenda et le réalisateur du long métrage Brocéliande
[3] Dessinateur auquel on doit l’incontournable V pour vendetta (éditions Delcourt), sur un scénario d’Alan Moore
[4] Trois hommes à abattre, film de Jacques Deray (1980) avec Alain Delon
[5] Film de Robin Davis (1982) avec Alain Delon et Catherine Deneuve
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.