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Le 28 septembre 2005
Rencontre avec Bertrand Bonello au sujet de son film Cindy, the doll is mine.
- Réalisateur : Bertrand Bonello
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Bertrand Bonello vient de réaliser Cindy, the doll is mine, un "film court" appelé à être distribué de façon peu ordinaire. Une séance chaque soir à 19h, au MK2 Beaubourg, et à la FIAC du 5 au 10 octobre. Une trajectoire originale mais un ancrage total dans la logique d’une œuvre déjà affirmée.
Cindy est présenté au public avec une étiquette particulière. Un côté événementiel (salle et horaire unique) et un aspect "objet d’art", à travers sa diffusion à la FIAC. Lorsque vous avez réalisé ce film, aviez-vous cette dimension en tête et a-t-elle influencé votre travail ?
Non. C’était une commande. C’était acheté par France2. Mais ça s’est fait dans une grande simplicité, sans influence sur la manière de travailler.
Mais ça influence la manière de le regarder.
Ça, je ne peux pas le dire. Ce que je trouve bien, maintenant, c’est qu’il est plus présenté comme un film court que comme un court métrage. Quand on a fabriqué le film, il n’y avait aucun enjeu commercial, aucune pression, donc, personne ne s’est demandé comment il allait être regardé. Je ne m’attendais pas du tout à ce genre d’exposition, et ça n’a pas du tout été fait pour ça. Là, il y a eu deux jours de tournage, c’était très simple, très gracieux. C’était presque un truc d’amis. Je n’ai jamais connu ça avant.
Vous êtes plutôt adepte des formats longs, habituellement, puisque vos autres films font presque deux heures. Qu’est-ce qui vous a poussé à vous tourner vers le court en dehors du fait que ce soit une commande ?
Si je fais des formats longs, c’est un peu contre mon gré, parce que personnellement, en tant que spectateur, j’adore les films d’1h20, 1h30. J’avais essayé, sur Tiresia, un montage d’1h30, et ce n’était pas bien. Mais si ça avait été bien, j’aurais préféré. C’est un travail de rigueur et d’expérience que d’arriver à faire court. Tous les autres courts métrages que j’ai faits étaient des choses de débutant, et là, tout d’un coup, c’est comme écrire une nouvelle, et en plus ça reste un vrai film de filmographie. Hemingway disait que quand il faisait un roman, c’était une nouvelle qu’il avait ratée. C’est excitant. Et puis je suis de plus en plus pour une élasticité totale des durées. On ne voit pas assez de films de huit heures, pas assez de films de trente minutes... Toujours 90, 120. Je n’ai rien contre les films de cette durée là, mais parfois ce n’est pas la bonne durée pour le sujet. Donc j’étais content de sortir un peu de ça.
Le thème de la poupée est un classique. En littérature, il a alimenté toute une branche de la SF, sans compter tout ce qui tourne autour de la poupée vivante, ou la femme inanimée, infiniment docile et malléable, comme le phénomène des real dolls, par exemple. Qu’est-ce qui vous a intéressé dans ce symbole ?
Avant moi, il y avait Cindy Sherman. Elle a fait des travaux avec les poupées, et surtout les mannequins. Les premières images d’elle-même tournent autour de l’american doll. C’est parti de l’idée de la poupée cassée.
Mais Cindy est une Barbie...
Oui, mais brisée, alors que Barbie est éclatante, parfaite. C’est une Barbie qui s’effondre. Et je trouve cette fissure assez belle. Elle a même un bandage, on peut imaginer une tentative de suicide, il y a une sorte de fissure dans la perception, mais sur laquelle Sherman a travaillé bien avant moi. Dans tout son travail, c’est ça qui me plaît le plus. Elle a commencé à travailler dans les années 70, et là, la femme va bien. Elle est dans un bungalow, avec son Martini. Et puis fin 70 début 80, c’est le moment que j’ai choisi, il y a les larmes qui arrivent, la solitude chez la femme, ça s’effondre un peu, et après, c’est le cauchemar et la terreur. Il y a des boutons, des vomissures, des masques affreux, et c’est ça que je trouve sublime dans son œuvre. C’est sur vingt-cinq ans, et on voit la terreur arriver et moi, je trouve toujours ça très beau. C’est ce basculement de la femme américaine middle class, et c’est l’arrivée des larmes. Dans ses photos, ça se passe sur quatre, cinq ans et moi je l’ai fait en quatorze minutes mais c’est ce basculement qui m’intéressait.
Dans Le pornographe, vous faites dire à Jean-Pierre Léaud, quand il s’adresse à Ovidie : "Ne dis rien, l’émotion, c’est moi qui vais la chercher". Ici, le photographe dit à son modèle : "Je veux que tu pleures parce que je crois que ça va m’émouvoir." La vie est-elle une recherche impossible de l’émotion ?
En tout cas, c’est l’émotion qui fabrique la vie. C’est là qu’on sait qu’on est du côté de la vie.
Mais Jean-Pierre Léaud n’est pas du côté de la vie, dans votre film.
Si parce qu’il dit "je vais aller la chercher". Son idée c’est qu’il y a une émotion fausse, qui est celle que véhiculent les acteurs pornos, et qu’en filmant un acte sexuel, on peut trouver une émotion vraie mais alors, il ne faut pas surjouer. Dans Cindy, c’est le contraire. Elle dit j’en veux plus, je veux des larmes. Je veux être émue. C’est troublant.
Je me suis toujours demandé comment Sherman décide de se montrer quand elle fait une photo. Le photographe qui a un modèle normal, il va regarder et choisir. Là, c’est la manière dont elle a envie de se voir, elle même. Et là, ce qui l’émouvrait, c’est de se voir elle même en larme. C’est un miroir.
Votre prochain long métrage ?
Une histoire d’amour très romantique... J’ai encore deux ou trois scénarios en tête, après, il faudra aller chercher ailleurs, dans la littérature, pourquoi pas. Ou arrêter... On n’est pas obligé de faire des films jusqu’à la fin de ses jours !
Propos recueillis à Paris le 26 septembre 2005
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