Vengeance amère
Le 16 avril 2024
Une fiction très impressionnante sur l’ambivalence des sentiments humains. L’une des meilleures surprises du Festival de Cannes 2006.
- Réalisateur : Andrea Arnold
- Acteurs : Martin Compston, Kate Dickie, Tony Curran, Natalie Press, Paul Higgins
- Genre : Drame, Thriller, Film culte
- Nationalité : Britannique
- Distributeur : Equation
- Date de sortie : 6 décembre 2006
- Festival : Festival de Cannes 2006, Sélection officielle Cannes 2006
Résumé : Jackie travaille comme opératrice sur des caméras de surveillance. Chaque jour, elle veille sur une petite partie du monde, en protégeant les personnes qui vivent leur vie sous ses yeux. Un jour, un homme apparaît sur son moniteur, un homme qu’elle pensait ne jamais revoir, un homme qu’elle ne voulait jamais revoir. À présent elle n’a pas le choix, elle est obligée de se confronter à lui.
Critique : Présenté au Festival de Cannes 2006 où il a remporté le prix du jury, Red Road, premier segment du concept "Advance party", repose sur un principe issu de la mode Dogma où trois réalisateurs développent, à partir des mêmes personnages, des scénarios différents qui se déroulent dans une région déterminée (ici, l’Écosse). Le moins que l’on puisse dire, c’est que le premier segment donne sacrément envie de découvrir la suite. Il s’appuie sur une thématique (le secret, la vengeance, le poids du passé) et un traitement elliptique qui risquent de rebuter tout ceux qui sont réfractaires aux petits exercices futés où le spectateur doit reconstruire un puzzle tout seul comme un grand. Pourtant, force est de reconnaître qu’ici, le travail en vaut la peine : au bout du cheminement, on est bouleversé par tant de détresse tout sauf complaisante et de tristesse tout sauf mélancolique.
Le suspense naît d’une relation inconfortable entre deux personnages mystérieusement liés par le passé : une femme qui travaille pour une société de vidéosurveillance et un homme qu’elle n’aurait pas voulu reconnaître. Elle finit par l’espionner, cherche à entrer dans son univers glauque et éprouve progressivement autant d’attirance que de répulsion (la question du sexe et du désir entre en compte et provoque de multiples tohu-bohu intérieurs). Certains parti-pris déroutent volontairement : Jackie, le personnage principal incarné par Kate Dickie (une révélation), est souvent filmée de dos pour révéler la partie d’elle-même qu’elle ne peut pas voir. Au gré de son histoire, en multipliant les supports formels, la réalisatrice futée sans être manipulatrice hésite entre plusieurs directions : le rapport antonionien avec l’image, le thriller hanekien où un dispositif de surveillance serait l’enjeu d’un thriller cauchemardesque, la parabole sur le voyeurisme et la solitude amplifiée par une mise en abyme récurrente (on regarde sur un écran de cinéma un personnage qui regarde d’autres écrans).
Loin de toute démonstration, la réalisatrice oublie ces pistes trop prévisibles voire cinéphiles et furète très rapidement dans des zones plus interlopes et passionnantes : celles d’un deuil où une douleur lancinante ne clame jamais son nom et justifie la renoncement à la vie. Ce premier film rudement impressionnant possède une authentique puissance émotionnelle qui renvoie à celle l’an passé du formidable Keane, de Lodge Kerrigan, avec son personnage seul à l’écran dont on cherchait à comprendre les errements et l’inquiétude intérieure. Il s’exprime ici la même intensité dangereuse et, surtout, la même propension à envelopper de toute sa sincère affection un personnage brisé par l’existence. Red Road est donc un diamant noir sulfureux qui dessine en filigrane un très beau portrait de femme que Jane Campion n’aurait certainement pas renié (on pense beaucoup au très sous-estimé In the Cut, sans toutefois les connotations lourdement symboliques et pro-féministes) et révèle le talent d’une artiste qui n’a pas peur de se cogner à l’indicible, aux fantasmes interdits, aux aspérités de la vie. Beau charivari.
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Norman06 21 mai 2009
Red Road - Andrea Arnold - critique
Ce n’est ni un polar, ni un film social. La misère ambiante et l’existence étriquée que l’on voit sur l’écran et les écrans constituent certes un décor assumé mais n’ont pas d’autres attributs que les saloons chez John Ford ou les cafés parisiens chez Claude Sautet. Les plus beaux instants sont ces séquences muettes qui voient Jackie se livrer à une maladroite filature et entretenir avec sa cible des rapports ambivalents. Il faut souligner ici le jeu tout en nuances de Kate Dickie, dont c’est le premier rôle au cinéma et qui exprime à merveille la détermination et la souffrance d’une femme qui n’a plus rien à perdre.
roger w 29 août 2009
Red Road - Andrea Arnold - critique
Quel beau film que ce "red road", à la fois austère, simple et incroyablement fort dans sa description d’une mère incapable de faire le deuil de son mari et de son enfant. Le tout est filmé avec pudeur et une sensibilité à fleur de peau. Une oeuvre magistrale.