Ne pas y aller à reculons
Le 24 décembre 2006
Un grand petit film d’une tristesse inconsolable.


- Réalisateur : Lodge H. Kerrigan
- Acteurs : Damian Lewis, Abigail Breslin, Amy Ryan
- Genre : Drame
- Nationalité : Américain
- Distributeur : ARP Sélection
- Festival : Festival de Cannes 2005
– Durée : 1h33mn
Un grand petit film d’une tristesse inconsolable.
L’argument : New York. Une fillette de six ans disparaît. Six mois plus tard, l’enfant n’a toujours pas été retrouvée. Son père, William Keane, tente d’accepter sa disparition.
Keane se lie d’amitié avec une mère célibataire et sa petite fille. Leur cachant sa propre histoire, il tente de prendre un nouveau départ auprès d’elles.
Notre avis : Keane, de Lodge H. Kerrigan, remarqué pour ses mirifiques Clean, shaven et Claire Dolan, dresse le portrait d’un individu en panne de lui-même, flingué par la vie et ses vicissitudes, à la recherche d’un amour disparu : sa fillette, kidnappée dans des conditions mystérieuses. On retrouve la même trame que dans son premier Clean, shaven mais le parcours est autre. Avec un registre formel glacial (caméra à l’épaule, mise en scène dépouillée, absence de musique), le cinéaste vide ses situations de tout pathos et récuse les explications superfétatoires. Alors que dans d’autres mains le film aurait certainement été un concentré poids lourd de chantage à l’émotion avec tirage ostentatoire sur la corde sensible et figures imposées tannantes, Kerrigan, plus subtil et exigeant, capte les regards fuyants, les silences expressifs et les gestes maladroits qui trahissent le manque affectif. Et évite de fait, grâce à la conviction de ses interprètes, tous les pièges qui pendaient au bout de sa caméra.
Ce qui est bouleversant dans Keane, c’est la simple empathie avec laquelle le réalisateur filme son personnage au physique suffisamment passe-partout pour créer l’identification. Ce qui est fort, c’est qu’il fait naître l’espoir, sans rebondissements tarabiscotés, ni résolutions faciles. En incrustant dans le récit deux personnages féminins (une femme et sa fille abandonnées par un mari-papa absent), Kerrigan capte les errements de trois âmes paumées taraudées par les mêmes angoisses, la peur d’abandonner et d’être abandonnés.
Les liens qu’ils tissent entre eux sont si fragiles qu’un rien peut les briser. Ce cinéma délicat mais assuré est affaire de petites touches discrètes et de détails accumulés. Ce n’est pas un conte de fées, ni un précipité larmoyant et niais pour faire pleurer dans les chaumières ; juste la réconciliation d’un homme avec lui-même et un grand petit film d’une tristesse inconsolable.
Le DVD
Le(s) supplément(s) à ne pas rater : Aucun bonus excepté les bandes-annonces de l’éditeur ARP.
Image & son : Parfait transfert qui respecte les ambitions formelles du réalisateur : "La photographie du film ne contient pas beaucoup de couleurs chaudes, le décor n’est pas chaleureux. (...) l’esthétique est moins subjective et plus basée sur le naturalisme et le réalisme, car je pensais que c’était ce qui aurait le maximum d’impact émotionnel." De fait, on retrouve cette impression laissée lors de sa découverte en salles grâce à une définition impeccable, à ce grain particulier et à cette fluidité virevoltante. Le Dolby Digital 5.1 fait également très bien son travail mettant surtout en avant l’ambiance urbaine oppressante.
tritonn 5 octobre 2005
Keane
Si vous avez déjà observé coment une mère tient ses chatons par la peau du cou, alors vous avez somme toute une assez juste idée de comment ce film va vous attrapper, avec une dûreté apparente, pour vous mener vers, sinon de la tendresse, tout au moins une grande “sympathie” (au sens éthymologique de “ressentir en même temps”, une compassion dénuée de pitié) avec William Keane.
La caméra vous colle à sa peau, dans un tête-à-tête parfois oppressant, jusqu’à ces dernières phrases de dialogues, cette presque pirouette, qui est plus qu’une lumière à la fin du tunnel : un grand soleil.