Précis de médecine imaginaire

Le mystère de la médecine ne tient pas seulement dans ce savoir solennellement détenu par les maîtres de l’Art. Il réside aussi dans la magie de son lexique, ces mots que l’on répète à mi-voix en se défiant des oreilles qui traînent, des formules enchantées qui nous ouvriraient les portes dérobées de notre corps. Cystite, épisiotomie, "infractus" ou arthrite, ces mots magiques parlent d’affections innommables sur lesquelles l’enfance va plaquer son imaginaire et la poésie d’une médecine du peuple qui, en échappant à l’Université, devient science du quotidien, apprise sur le tas, chez les grand-mères ou au marché.

Emmanuel Venet sait de quoi il parle, et son Précis de médecine imaginaire balance entre la nostalgie d’un savoir populaire et la rigueur scientifique des amphithéâtres. Les mots s’illuminent du faste des interprétations, des images que l’enfance accole à cette médecine de trottoir, dont on ne se défait jamais complètement. De courts tableaux viennent ainsi illustrer les mots du corps et de la maladie, drôles ou graves, savants ou sensibles, et dessinent les rituels que chaque famille dresse face à "la Bête". Mais qu’on ne s’y trompe pas. Nous ne sommes pas dans une galerie de portraits, pas davantage dans un dictionnaire des idées reçues. Quand on parle de médecine, la mort n’est jamais très loin et les mots conjurent, repoussent, escamotent. Cette médecine imaginaire devient alors le masque de comédie dont on habille la souffrance pour la rendre familière, un théâtre de la vie où se mêlent petites angoisses et grandes questions.

Emmanuel Venet, d’une écriture éclatante, poétique, sinueuse et complice, prouve brillamment que la médecine recèle encore de l’humanité.