Poétique de l’archive
Le 31 août 2014
Arnaud des Pallières offre un film de montage qui part d’une idée brillante - raconter l’Amérique à travers des petits récits et des images d’archives libres de droit - mais la force poétique de la démarche tourne court ...
- Réalisateur : Arnaud des Pallières
- Genre : Documentaire
- Nationalité : Français
- Editeur vidéo : Potemkine
- Durée : 1h37mn
- Date de sortie : 6 juillet 2011
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Sortie DVD : 2 septembre 2014
Arnaud des Pallières offre un film de montage qui part d’une idée brillante - raconter l’Amérique à travers des petits récits et des images d’archives libres de droit - mais la force poétique de la démarche tourne court car ampoulée par des narrations caricaturales et un systématisme visuel qui a du mal à tenir la route sur un long métrage.
L’argument : « Ce film est une improvisation. Un journal de travail. Un poème un peu long fait de morceaux d’autres films, de bout de phrases, de musiques et de sons d’un peu de tout. Écrit dans la langue du cinéma. Sans dialogues. Sans commentaire. Muet. Mais bavard aussi parce qu’il raconte beaucoup d’histoires. Une vingtaine. Brèves, infimes et qui mises ensemble font ce qu’on appelle la grande histoire. Ça parle d’Amérique. Donc de nous. Des morceaux de la vie de chacun. Un enfant, son père, sa mère, le lapin, le chien, les fleurs, votre enfance, la mienne, la nôtre. Les Indiens, Christophe Colomb, Apollo, la lune. Chaque personnage dit je. C’est le journal intime de chacun. L’autobiographie de tout le monde... » (Arnaud des Pallières).
Notre avis : S’étalant sur plusieurs années, le processus de fabrication de ces Poussières d’Amérique a été long et laborieux. Tout débute quand le compositeur Martin Wheeler parle à Arnaud des Pallières du site de Rick Prelinger, un archiviste qui a mis à la disposition du public une collection de plus de 60.000 films institutionnels, éducatifs, publicitaires ou amateurs destinés à l’oubli et dont il a fait l’acquisition par la Bibliothèque du Congrès. Trouvant une force et une poésie dans ces images à priori sans grand intérêt, le cinéaste décide de se lancer dans un pur film de montage, un travail sur le raccord qui rendrait hommage non seulement au continent américain mais aussi au cinéma muet à travers l’utilisation d’intertitres, narrant des récits intimistes ou des pensées formulées à la première personne. Pour créer du lien entre ces petites histoires et la grande Histoire des Etats-Unis, il utilise deux fils conducteurs : les Indiens et la mission Apollo 11. Les images collectées, quant à elles, appuient les textes, comme autant de nouvelles ou de chapitres qui se succèdent. L’utilisation des cartons très fréquente apparente le film lui même à un acte de lecture. Cette aventure visuelle, textuelle et sonore démarre d’ailleurs par un décompte et pose sans cesse la question de qu’est-ce que le cinéma, cet émerveillement, cette magie ? Nous nous baladons ainsi entre le noir et blanc et la couleur, témoins d’un présent déjà perdu dans un lointain passé.
Thématiquement, il est fait référence au progrès, à la libre entreprise, avec un éloge de l’effort, de la compétition, du sport (le football américain, bien sûr), de la transmission et de la filiation. C’est d’ailleurs dans l’approche de ces sujets que Poussières d’Amérique frise par moments la caricature. On préfèrera les récits plus intimes ou les faits divers, comme cet homme démuni, ayant perdu son travail et tout espoir, qui tue sa famille mais épargne ses deux fils. Il est aussi question de la beauté des femmes, de la construction d’une maison et d’arbres que l’on coupe, encore et encore. Sally Sue veut que Joe Bob lui offre un divorce pour Noël, alors qu’un jeune garçon raconte comment son lapin domestique s’est retrouvé au menu dans son assiette. Des Pallières rend ainsi hommage à la tradition orale, mais sans utiliser de voix audible, ce qu’il parvient parfaitement à faire. Ces histoires rapportées peuvent se rapprocher de la lettre adressée à un proche ou même du courant de conscience. La Nature joue elle aussi un rôle primordial ici : rochers, collines, torrents, montagnes, forêts, animaux sauvages ou familiers. Ces archives dégagent un sentiment d’innocence représenté par les nombreux visages d’enfants qui ponctuent et qui clôturent d’ailleurs ce long métrage, mais ne gomment pas pour autant une certaine noirceur (les meurtres, le génocide indien, les arbres éventrés dont les rondins envahissent les rivières). On voyage ainsi à travers ces mots et ces images, avec des fonds sonores qui touchent souvent aux orchestrations symphoniques mais qui peuvent aussi inclure des field recordings. L’idée est donc simple : mélanger le micro et le macro, le monumental et l’infime, l’Histoire officielle et les histoires anodines de tout un chacun.
Cette démarche documentaire expérimentale est très séduisante, c’est certain, mais malheureusement les "discours" en appellent à beaucoup de clichés. Je passe tout ce qui a trait à l’idéal féminin, mais c’est plus quand il est question de la famille que nous tombons sur de nombreux stéréotypes. Il y a cet homme qui veut quitter sa femme mais pas sa maison ou celui qui veut inculquer les valeurs de compétition à ses enfants. Cela aurait pu passer dans le cadre d’une polyphonie mais les cartons apportent une valeur générique à ces phrases et du coup cela ne fonctionne pas vraiment. Plus important, le film a pour défaut majeur de recycler en permanence les mêmes thématiques visuelles. Avant d’avoir atteint la moitié du métrage, on a déjà un sentiment de redite et on se dit qu’on va ne voir plus que des troncs d’arbres, des visages d’Indiens et des fusées. On aimerait aussi plus de diversité quant à la sélection musicale, elle reste trop homogène tout du long et on est heureusement surpris quand un vieil air folk nous emporte dans une autre dimension. En deux mots, il s’agit là d’un sujet très ambitieux mais on dirait qu’Arnaud des Pallières a été frileux dans sa volonté de tout englober : le cinéma, le continent américain... Tant qu’à y être, il aurait dû y aller à fond, et piocher dans de nombreux registres visuels et sonores qui étaient pourtant à sa disposition. On finit par se dire qu’il avait le matériau pour un court ou moyen métrage plutôt qu’un long. D’ailleurs, quand on regarde Diane Wellington, film d’une quinzaine de minutes offert en bonus, sorte d’ébauche de Poussières d’Amérique, on se dit que finalement cela fonctionne beaucoup mieux en format court.
Une chose est certaine, l’archive est un matériau sublime, forcément mélancolique car lié à une époque révolue, défunte, et parfois à des utopies perdues, mais De Pallières aurait peut-être dû construire son film sur plusieurs idées fortes (et éviter les maladresses sus-citées) au lieu de juste développer un unique concept qui montre vite ses limites sur une centaine de minutes. La coupure entre chaque séquence devient trop flagrante. Il ne suffit pas d’en appeler à un même fond visuel et thématique pour créer un lien fort et un fil conducteur sur tout le film. Cela dit, Poussières d’Amérique a pour lui un concept génial, la beauté de certains raccords et cette capacité poétique à laisser s’évader l’imagination avant hélas de tomber dans un systématisme que certains jugeront soporifique par moments.
Les suppléments
Comme nous le disions plus haut, le court-métrage Diane Wellington est la preuve qu’avec le même dispositif que Poussières d’Amérique, on peut obtenir un résultat réussi et porteur d’une forte émotion. Dans ce court métrage de seize minutes, il est question d’un fait divers qui s’est déroulé dans le Dakota du Sud dans les années 1930. Deux narrations se croisent, celle d’une fille qui voit sa mère bouleversée après un coup de fil lui annonçant que l’on a retrouvé le cadavre de la fameuse Diane, puis l’histoire de ce qui s’est passé à l’époque, et pourquoi ce moment simple (un coup de fil) révèle toute une tragédie. À ce bonus fort appréciable s’ajoutent un hommage à Jean Rouch (Le Narrateur, dix minutes), une ébauche pour Poussières d’Amérique qui se nomme I have a dream (dix minutes) ou le récit d’un rêve qui tourne au cauchemar, tout en rendant hommage à Martin Luther King et à la statue de la Liberté pour terminer en images d’émeutes. Pour finir, le réalisateur lui même présente les intentions qui étaient les siennes en travaillant sur Poussières d’Amérique.
L’image
La poésie du film réside justement dans le contraste entre les différents grains d’images. On notera d’ailleurs un certain nombre d’images tournées en Super 8. Certains plans se rapprochent de tableaux tout simplement, d’autres sembleront parfaitement sans intérêt, mais c’est ainsi que le metteur en scène arrive à nous faire mieux plonger dans ce passé toujours très présent. Une expérience visuelle très bien rendue par cette édition DVD.
Le son
Le travail sur le son (mono et stéréo) est impeccable, allant de clins d’œil à la partition de Virgil Thomson pour Louisiana Story jusqu’aux enregistrements naturels de Chris Watson, l’ex-Cabaret Voltaire. Cette utilisation de la citation sonore, mêlée aux compositions personnelles de Martin Wheeler, est fort appréciable, bien qu’on l’aurait souhaitée plus contrastée encore. Il est vrai que certains drones et musiques cotonneuses n’aident pas l’aspect soporifique dont nous parlions plus haut.
Galerie photos
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