Naissance d’un cinéaste majeur
Le 26 février 2012
Carlotta donne une seconde vie au premier long-métrage de Jerry Schatzberg (auteur de L’Épouvantail), joyau sacrifié des seventies à la fulgurante modernité. Immanquable.
- Réalisateur : Jerry Schatzberg
- Acteurs : Faye Dunaway, Roy Scheider, Barry Primus, Viveca Lindfors, Barry Morse
- Genre : Drame
- Nationalité : Américain
- Editeur vidéo : Carlotta Films
- Durée : 1h39mn
- Box-office : 67 715 entrées France (sortie originelle)
- Titre original : Puzzle of a downfall child
- Date de sortie : 30 janvier 1972
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Date de reprise en salles : 28 septembre 2011
Sortie DVD et Blu-Ray : 22 février 2012
Carlotta donne une seconde vie au premier long-métrage de Jerry Schatzberg (auteur de L’Épouvantail), joyau sacrifié des seventies à la fulgurante modernité. Immanquable.
L’argument : Ancienne célébrité de mannequinat, Lou Andreas Sand s’est isolée dans une maison au bord de l’océan où elle tente de vivre autrement, en se consacrant à la poésie et à la sculpture. Abîmée par la dépression et les excès, elle reçoit la visite de son ami photographe Aaron Reinhardt.
Il tente avec elle de faire le point sur sa vie.
Notre avis : Dans la famille du ’’Nouvel Hollywood’’, cinéastes américains venus donner un grand coup de pied dans la fourmilière hollywoodienne à la fin des années 60 (on citera Scorsese, Coppola, de Palma...), Jerry Schatzberg occupe une place à part. Ancien photographe de mode, ce dernier dut faire ses preuves dans un milieu impitoyable, prompt à ranger ses auteurs dans des cases prédéfinies. Le verdict fut sans appel : après de multiples atermoiements avec ses producteurs (Universal) et ses scénaristes, son premier long-métrage, Portrait d’une enfant déchue, est désavoué par la critique américaine et fait un four monumental à sa sortie en 1970, malgré la présence de Faye Dunaway en tête d’affiche (starifiée depuis Bonnie and Clyde) et le soutien de certains journalistes européens. Il faudra attendre trois ans et un troisième long-métrage, L’Épouvantail (Grand Prix au festival de Cannes 1973), pour que Jerry Schatzberg connaisse un début de reconnaissance internationale.
Cinéaste rare, Schatzberg n’aura réalisé qu’une douzaine de long-métrages en trente ans – son dernier, The Day the Ponies come back, remonte à 2000. Pourtant, on pourrait démontrer sans risques l’influence qu’il exerça sur ses contemporains (échos avec certains films de Sydney Lumet ou de William Friedkin) et sur les générations suivantes : une œuvre comme A single man (par un autre grand nom de la mode, Tom Ford) rappelle inévitablement ce Portrait d’une enfant déchue, que l’inspiration soit consciente ou non. Réhabilité en France et aux États-Unis, devenu culte pour un cercle de cinéphiles avertis, le film ressortit en salles en septembre 2011. Une photographie de Schatzberg mettant en scène sa muse Faye Dunaway (avec qui il a entretenu une liaison de deux ans) a même été choisie comme affiche et caution glamour du dernier Festival de Cannes. Un hommage parfaitement logique pour une œuvre qui, quarante ans après sa première sortie, nous frappe par son étonnante modernité.
« Il y a une chose que tu ne sais pas sur moi : mon nom n’est pas mon vrai nom. » Cette assertion énigmatique ouvre Puzzle of a downfall child et en donne immédiatement la clé. Cloîtrée dans un chalet près de la plage, Lou Andreas Sand remonte le fil de son existence à l’aide de souvenirs fragmentés et indécis – un puzzle, littéralement –, illustré par une série de flashs-back à la construction capricieuse. A priori, rien qui n’ait déjà été exploité dans le biopic à l’américaine et n’ait été recyclé un millier de fois depuis, jusqu’au J. Edgar de Clint Eastwood. Portrait d’une enfant déchue s’offre un peu comme le pendant strass et féminin de Citizen Kane : alors que sa vie est derrière elle, un ancien mannequin brode son récit biographique, tissé de vérités déformées et d’illusions mensongères. La différence entre Schatzberg et la masse de ses suiveurs : le cinéaste use de cet artifice avec une liberté déconcertante, faisant fi de toutes conventions pour s’approcher, au plus près, de l’état d’esprit de son personnage. Lou n’est pas folle ni amnésique, mais abîmée par la vie, déçue par ses rêves de grandeur, abandonnée par les hommes (qu’elle a collectionné jadis) et les stylistes (qui lui préfèrent des concurrentes plus jeunes). Gloire et déchéance d’une top model, certes, mais à travers un prisme mémoriel et sensoriel complètement diffracté, ayant moins à voir avec la ligne droite emphatique d’un Scorsese (Raging Bull, pour n’en citer qu’un) qu’avec un exercice de déconstruction proche de la Nouvelle Vague – Resnais et Godard ne sont pas loin.
Le résultat, à la fois parfaitement accessible et totalement expérimental, est époustouflant. Les récits se croisent et s’entrecroisent, souvent contaminés par des régimes visuels et sonores à multiples couches (extraits de films, rêves mystiques, jeu sur la saturation des couleurs, juxtaposition des bandes sonores...). Cette dimension ouvertement arty du projet n’est pas allée en sa faveur. On a accusé Schatzberg d’être aussi superficiel que le monde qu’il dépeignait (d’autant plus qu’il l’a fréquenté, ce qui n’arrange pas son cas), de s’attacher à un personnage volontiers capricieux et caricatural... La grande vertu de l’exercice de style, pourtant, est de ne pas abandonner l’émotion, qui devient proprement bouleversante dans le dénouement grâce à la performance extraordinaire de Faye Dunaway. La forme, quant à elle, s’adapte parfaitement au sujet : comme un écho à son double patronyme, la construction identitaire de Lou Andreas Sand est contrariée par son statut d’icône de papier glacé, confisquée par l’objectif des photographes, vampirisée par le regard des hommes qui l’entourent. Constamment dans la représentation, elle endosse plusieurs rôles (y compris celui de Marlene Dietrich lors d’une scène troublante) et finit par s’y perdre : les glaces dans lesquelles elle se mire lui renvoient un reflet encore déformé.
Ce n’est pas Aaron (Barry Primus), ancien amant voulant préparer un film sur sa carrière de mannequin, qui aura le contrôle sur cette figure gigogne. La mise en abyme entre ce personnage masculin et Schatzberg lui-même, Pygmalion fasciné par sa créature, n’est d’ailleurs pas aussi aisée qu’on pourra le croire. Certes inspirée par la destinée d’une vraie top model, Anne St Marie, Lou Sand échappe pourtant à son créateur et gagne une autonomie qui n’appartient qu’à son interprète, Faye Dunaway. Fraîche et pimpante tout d’abord (« absolutely divine »), puis très maquillée pour figurer la vieillesse et la fatigue, l’actrice traverse les quinze années d’existence de son personnage avec la même conviction, la même force, la même beauté. Elle ajoute, in fine, à l’amertume et au désenchantement des deux portraits : celui de son personnage et celui d’une époque, les années 60, miroir aux alouettes qui s’est déroulé en un éclair, rouleau compresseur pour anges sacrifiés.
Les suppléments :
Des bonus peu nombreux mais bien ciblés. Le principal, « Illusion et réalité », est un entretien de 51 minutes entre Jerry Schatzberg et le journaliste Michel Ciment. La forme est un brin monotone mais le propos conduit avec intelligence : le réalisateur aborde les principaux aspects du long-métrage, de son travail de photographe à ses influences picturales, des surprises du tournage (notamment la genèse de la magnifique conclusion du film) à sa relation avec Faye Dunaway... A l’image de ses trois premiers films, avec L’Épouvantail et Panique à Needle Park, l’interview dessine les contours d’un auteur humble et atypique, attaché au sort des « blessés de la vie », ayant reformulé les gammes de son art sans vraiment s’en rendre compte.
Victime de préjugés, Portrait... reçut un accueil très frais au Festival de San Francisco de 1970 – « encore un film de merde par un photographe de mode ! », dira un critique avant même la projection. Un bref documentaire, « Le film révélé » (13 min), revient sur la destinée injuste (désaffection du studio Universal, sortie ’’peau de chagrin’’ à New-York) et sur le rôle joué par le critique Pierre Rissient dans sa réhabilitation. Une bande-annonce, celle de la ressortie du film en septembre 2011, complète cette édition Carlotta d’une élégante sobriété.
L’image :
Le travail de restauration est remarquable et restitue parfaitement les expérimentations formelles du Schatzberg photographe (sur les couleurs, les lumières, les contrastes). Le format cinéma 1.85 est respecté, sur un Technicolor tout en nuances. Le grain de l’image se fait plus sensible dans les tons bruns, apportant à l’ensemble une dégaine seventies pas désagréable pour autant. De manière générale, la définition est d’une belle netteté, même si elle ne vaut sans doute pas le piqué HD du Blu-Ray.
Le son :
On est loin de la précision du DTS-HD Master Audio (sur le Blu-Ray), mais la version mono du DVD reste largement honorable. Les textures sont encore un peu ’’lourdes’’ par moments, mais on parvient à s’y retrouver entre les différents régimes sonores (dialogues, voix-off, enregistrements radio), ce qui est bon signe. Unique piste disponible : la VO sous-titrée français. De quoi apprécier à sa juste valeur la composition ’’femme-enfant’’ de Fane Dunaway. En France, le film n’a connu qu’une sortie confidentielle au début des années 70, ce qui explique l’absence de VF.
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