L’Enfance du mal
Le 8 octobre 2015
Pour radiographier l’origine du mal, Villeneuve filme un espace aussi morcelé et sombre que le Guernica de Picasso. Film charnière du cinéaste canadien, Polytechnique sort pour la première fois en DVD.
- Réalisateur : Denis Villeneuve
- Acteurs : Maxim Gaudette, Martin Watier, Sébastien Huberdeau
- Genre : Drame
- Nationalité : Canadien
- Editeur vidéo : Épicentre Films Éditions
- Durée : 01h16mn
- Festival : Festival de Cannes 2009
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– Sortie du DVD : 6 octobre 2015
– Année de production : 2009
– Quinzaine des réalisateurs
– Festival de Cannes 2009
Pour tenter de comprendre l’origine du mal, Villeneuve filme un espace aussi morcelé et sombre que le Guernica de Picasso. Film charnière du cinéaste canadien, Polytechnique sort pour la première fois en DVD.
L’argument : Polytechnique raconte l’histoire de la tuerie de l’École polytechnique de Montréal, vécue par deux étudiants, Valérie et Jean-François, dont la vie a basculé après qu’un jeune homme se fut introduit dans l’école afin de tuer le plus de femmes possible avant de se suicider. Le film est basé sur les témoignages des survivants du drame survenu à la Polytechnique.
Notre avis : Y a-t-il seulement volonté de la part de Denis Villeneuve d’en passer chaque fois par l’abstraction, du moins le symbole, pour mettre en scène une histoire ? Probablement, oui. Si quelques-uns restent encore sceptiques quant à la dimension de double-fond des films du cinéaste canadien, un petit retour en arrière sur son troisième long métrage Polytechnique permet d’y voir un peu plus clair. Preuve sans aucun doute que le motif de l’arbre dans Prisoners, de l’araignée dans Enemy ou du trou noir abyssal dans Sicario n’ont rien du hasard ou du simple effet de style.
"Sur un plan métaphysique", dit un professeur dans Polytechnique, "la loi universelle de l’entropie affirme que tout système isolé laissé à lui-même est irrémédiablement voué à se dégrader de manière irréversible jusqu’à l’autodestruction". Ce système isolé dont il est question lors d’un cours destiné à de futurs ingénieurs renvoie symboliquement au tueur de l’École polytechnique de Montréal. C’est d’ailleurs lui qui quelques secondes plus tard fait brusquement irruption et déstabilise l’ordre établi, contamine en quelque sorte l’espace. Ainsi, peut-on soutenir que l’entropie s’impose comme le motif clé - une fois encore intangible - de Polytechnique. Aux va-et-vient cosmiques d’Elephant, où l’orage des scènes d’ouverture et de fermeture métaphorisait la violence, et l’atome la structure éparse faite de croisements, d’accélérés et de ralentis, Polytechnique oppose une logique plus radicale, telle une maladie foudroyante. Subitement, là où on ne l’attend pas, les coups de feu et la mort tombent comme un couperet. Ou inversement, l’on échappe l’espace d’un court instant à l’enfer en traversant une simple porte - l’occasion pour le cinéaste d’une ellipse audacieuse.
Comme toujours chez Villeneuve, l’un des principaux mantras est l’interrogation de la nature humaine, notamment en ce qu’elle comporte de violence. Et comme souvent aussi, le cinéaste n’a aucune réponse claire à formuler, préférant multiplier les questionnements. Comment peut-on caractériser la violence en tentant dans le même temps d’en éclaircir les contours ? Pour y répondre, le réalisateur a choisi le noir et blanc en référence au tableau Guernica de Pablo Picasso. Alors que le tueur s’immisce insidieusement dans l’école, que les étudiants vaquent ici et là à leurs occupations habituelles - dans les halls, à la cafétéria, à la photocopieuse -, un élève se tient debout de dos face à une reproduction du chef d’œuvre du peintre andalou. Une apparition qui jette alors un éclairage nouveau sur Polytechnique. C’est que toute la construction du film de Villeneuve confine à l’abstraction géométrique, avec des travellings capturant l’espace dans tous les sens, même à l’envers - les couloirs de l’établissement mais aussi le paysage extérieur enneigé. Comme s’il s’agissait, en basculant peu à peu l’angle de la caméra en sens inverse, en prenant les choses et les matières à revers, de pénétrer l’insondable, de peindre ce monde qui se donne à voir tout entier mais dont rien pourtant de la logique de mort n’émerge. En cela, le ballet opéré par la caméra de Villeneuve, se jouant du temps et de l’espace sans aucune échappatoire, est-il certainement plus pessimiste que les mouvements d’appareils, plus poétiques et vaporeux, de Gus Van Sant.
De cette manière, le réalisateur interroge donc l’horreur tout en reconnaissant peiner à en comprendre l’imprévisibilité. Toute la mise en scène concourt d’ailleurs à en faire ressentir la promptitude au spectateur - coups de feu inopinés, visions de massacre manquées mais ressurgissant en flashback. Spectateur qui du reste se retrouve également questionné sur son propre rapport à la violence, l’espace d’un regard caméra à la Funny Games - le cynisme d’Haneke en moins. Quid du voyeurisme et du divertissement ? Le cinéaste ne semble à ce titre en aucun cas s’épargner, se demandant s’il est possible de traiter au cinéma un sujet aussi brulant sans travestir la réalité et tomber dans le sensationnel. Une façon peut-être aussi de mutualiser quelque part la responsabilité vis-à-vis du massacre. "Nous ne sommes pas coupables mais collectivement responsables", dira l’essayiste Pierre Bourgault quelques jours après la tragédie.
À noter que le choix de mettre en scène la tuerie de l’École Polytechnique de Montréal n’est probablement pas innocent pour Denis Villeneuve. Non pas parce qu’elle le concerne, lui Canadien plus qu’un autre, mais parce que le tueur Marc Lépine s’était à l’époque déclaré antiféministe et avait surtout visé des femmes. Or, le réalisateur n’a eu de cesse en filigrane tout au long de sa filmographie de s’intéresser aux personnages féminins, en éclairant d’un film à l’autre leurs rapports de soumission quasi intrinsèques dans la société contemporaine. Pour toutes ces raisons, Polytechnique s’avère donc exemplaire quant au rapport allégorique qu’entretient Villeneuve avec la matière filmique. Sans doute peut-on aussi voir dans cette troisième réalisation, admirablement mise en scène et montée, l’un de ses principaux films.
Le test DVD
Pour sa première incursion DVD en France, Polytechnique se montre un peu chiche côté bonus...
Les suppléments :
Seul un entretien d’une dizaine de minutes entrecoupé de séquences du film, une bande annonce et une galerie photos constituent le menu desdits suppléments. C’est faible. D’autant plus que l’interview de Denis Villeneuve se montre lui aussi relativement avare. L’on y apprend entre autres que le cinéaste a réalisé des recherches durant plus d’un an avant d’entreprendre la réalisation de Polytechnique. L’occasion pour lui d’éplucher les rapports des coroners chargés de l’enquête, ou encore de s’entretenir avec quelques-uns des étudiants ayant assisté à la tuerie. Malheureusement, les propos n’entrent jamais vraiment dans le registre technique ni analytique. Dommage.
L’image :
La définition est au rendez-vous et les différentes nuances de gris et de noir sont bien rendus. Beau travail également côté texture et précision de l’image.
Le son :
Qu’il s’agisse du 2.0 Stereo ou du Dolby Digital 5.1, la partition musicale et les différentes ruptures de tonalités du film ressortent proprement.
Galerie Photos
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