Le 13 mai 2019
Peut-être le meilleur livre du célèbre humoriste, qui enrichit son humeur acide d’adhésions sincères et de tendresses plus assumées.
- Auteur : Pierre Desproges
- Editeur : Editions du Seuil
- Genre : Humour
- Nationalité : Française
- Date de sortie : 1er février 1987
L'a lu
Veut le lire
Notre avis : Les chroniques de la haine ordinaire, publiées en 1987 aux éditions du Seuil, rassemblent une grande majorité des textes écrits par Pierre Desproges pour une émission éponyme, diffusée sur les ondes de France Inter, en 1986 (et dont le générique, signé Paolo Conte, est resté célèbre).
Si l’on paraphrase une formule à la fois creuse et grandiloquente, on peut dire que c’est l’ouvrage de la maturité. Certes, on ne disconviendra pas que Vivons heureux en attendant la mort ou le Dictionnaire superflu, pour ne citer qu’eux, affirmaient déjà la singularité d’une écriture et la radicalité d’une forme de misanthropie. Desproges se distingue en tant qu’il est un humoriste résolument iconoclaste, auteur de phrases hybridées, sorte de cocktails subtils entre la rhétorique cicéronienne, et la concision de l’écriture journalistique, lorgnant à la fois sur les chroniques de Vialatte et les Nouvelles en trois lignes de Fénéon.
Cette écriture totalement originale mêle aussi le juron et la préciosité, avec un égal bonheur créatif. Cela dit, après avoir trouvé son style, l’auteur en a parfois usé et abusé, pour lui donner l’apparence d’un tic agaçant, auquel s’ajoute une forme de morgue, que certains s’accordent aujourd’hui à trouver réactionnaire et qui ne peut constamment invoquer l’excuse d’une mauvaise foi.
Mais Les chroniques offrent davantage que les ouvrages précédents, une variété de tons (l’indignation, l’absurdité, la tendresse...), qui en fait l’ouvrage le plus maîtrisé de Desproges.
Florilège de quelques textes recommandables :
– "Bonne année, mon cul" : un bref survol de l’actualité du mois de janvier 1986. Humour et dérision. Les Restaurants du coeur en prennent pour leur grade. Coluche vient de boucler son marathon d’hiver, qui s’est achevé par une émission de plusieurs heures sur TF1. Desproges s’en prend ici à la charité ostentatoire.
– "Les restaurants du foie" : Coluche bis. Une critique au vitriol de l’association créée par le célèbre humoriste. Desproges s’insurge contre une nouvelle forme de philanthropie, dont la sincérité lui paraît plus que suspecte, et contre la monomanie lacrymale qui a gagné le pays. En interview, se référant à un célèbre proverbe, l’humoriste dira qu’il vaut mieux apprendre à pêcher que de donner du poisson. Il dira aussi que la lutte contre la pauvreté est l’affaire des gouvernements, pas des saltimbanques.
– "La drogue, c’est de la merde" : un panégyrique sincère du clip de Périer et Séguéla, contre la drogue. Délaissant ici la critique systématique, Desproges prouve qu’il est aussi capable d’adhésions sincères, indépendamment de ce qu’on peut penser du film.
– "Humilié" : une anecdote amusante, où le narrateur se fait humilier par un gamin, amateur d’avions de chasse. Desproges démontre ici ses talents de conteur. Ce ne sera pas la dernière fois dans cet ouvrage.
– "Criticon" : un excellent texte, qui remet à leur place les critiques zélés, dont la condescendance s’exalte en un suprême mépris de tout ce qui est comique. Lointaine tradition qui remonte à Aristote et sa Poétique, et qui va jusqu’aux César, où on ne récompense pas trop ce qui excite les zygomatiques. Car le rire n’aurait aucune ambition, selon un adage trop connu, sinon... celle de faire rire. C’est contre ce cliché ringard que Desproges s’insurge, en affirmant, pour défendre sa chapelle : "Elle est immense, la prétention de faire rire".
– "Les trois draps du prince d’Orient" : un récit drôlatique, une sorte de fable très bien écrite, et qui montre, si besoin était, que Desproges aurait pu faire un excellent conteur, dans la tradition des récits philosophiques du XVIIIème siècle. L’histoire : un prince descendu dans un hôtel, doit se contenter de dormir dans un lit avec son valet, ce qu’il refuse, avant qu’une soubrette espagnole ne vole à sa rescousse, avec une paire de draps.
– "La cour" : Coluche ter. Dans ce texte d’une grande férocité, plutôt bien troussé, Desproges démonte la légende du comique, avant que la mort ne le pétrifie dans un mausolée de bazar. Le plus grand trublion des années 80 nous y est présenté comme un roi - "Rigolo XIV"- entouré d’une cour de parasites, invitée à "ses soupes nocturnes" et uniquement intéressée par son argent et sa notoriété. Le regard est acerbe, l’écriture vise et touche juste. Les agapes de la rue Gazan en prennent un sacré coup.
– "Au voleur" : une mésaventure autobiographique, sans doute. Desproges chausse ses bottes de sept lieues, un peu plus cloutées que celles de Brassens, dans Stances à un cambrioleur. Mais l’événement justifie la colère : le cocker de l’auteur est victime d’un minable cambriolage. La rancune se pare des atours du mépris, à la fin du texte.
– "L’humanité" : sous une forme très antiphrastique, Desproges clame son amour du genre humain, et dissocie quatre catégories d’hommes : les amis, les copains, les relations, les gens qu’on ne connaît pas. On retient cet aphorisme : "La caractéristique principale d’un ami est sa capacité à vous décevoir".
– "Psy" : une charge contre la psychanalyse freudienne, ridiculisée en une anecdote édifiante. Les épigones du médecin viennois en prennent pour leur grade. Les auteurs de l’Anti-Oedipe n’auraient peut-être pas désavoué.
– "Queue de poisson" : un excellente fable qui raille une brassée de notables provinciaux (déjà épinglés dans Des femmes qui tombent). Ceux-ci sont victimes d’un incident gastrique, préjudiciable à leur bonne santé. Ils sont soignés, mais avec un peu trop de velléité et d’angoisse, pour que l’empressement paraisse totalement sincère.
– "Les trous fumants" : un portrait acide de Haroun Tazieff, le célèbre vulcanologue, ex-ministre "des trous qui fument", qui brada jadis son idéal sismique sur l’autel de plus funestes ambitions politiques. Comme La Bruyère, Desproges excelle dans l’art du portrait.
– "La belle histoire du crapaud -boudin" : la description qui ouvre le récit est un petit chef-d’œuvre d’écriture, à relire d’urgence. La suite est à l’avenant, et la fin cruelle. Entre conte et fable du Grand Siècle, mais la perruque en moins.
– "Aurore" : les pas du hasard entraînent le narrateur sur les sentiers d’un pèlerinage émouvant, aux abords de l’ancien siège de L’aurore, journal auquel Desproges collabora avant sa célébrité, au début des années 70. Emotions et souvenirs. L’auteur-narrateur retrouve une ancienne connaissance dans un bar attenant.
– "Les aventures du mois de juin" : c’est sur ce feuilleton familial que se clôt le livre. Ce texte à épisodes lorgne sur la nouvelle. Un an auparavant, Desproges avait commis Des femmes qui tombent, histoire globalement ratée, dont la forme romanesque n’était qu’un prétexte à chroniques. Ici, l’humoriste pose les fondations d’un récit avorté mais ô combien sympathique (le début fonctionne comme une mise en abyme de la problématique de l’écriture). Le cadre est défini, mais le propos ne va pas plus loin. Comme si Desproges baissait les bras devant la difficulté à surmonter, se souvenait aussi de son expérience d’écriture malheureuse. Dommage. Une dernière fois, il tentera le coup, à travers un texte à épisodes ("L’euthanasie vite fait, bien fait", dans le posthume Almanach de 1988).
Chroniques de la haine ordinaire - Pierre Desproges
176 pages
Seuil (édition de 1987), Points (Réédition de 2017, collection Points documents)
10,9 x 0,9 x 17,9 cm
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.