Peau de Mille Bêtes- La chronique BD

Il faut toujours une bonne dose de courage et d’originalité au moment d’attaquer les contes, même si depuis quelques temps, les parutions BD s’attachent de plus en plus à renouveler, dépoussiérer et moderniser ces formes de récits un peu anciennes. Peau de Mille Bêtes réussit à faire les trois actions en même temps, jouant sur une narration pleine d’analepses, de focalisations variées des personnages, de discours enchevêtrés pour renouveler, prenant des types de caractères et de lieux pour les passer d’un délicat plumeau, mais aussi en en introduisant quelques répliques, quelques convictions et messages perforants, modernes, actuels.

Cette histoire, d’amour, comprenant à la fois la beauté de l’inconnu et le monstrueux de l’inceste, apporte son lot de surprises et de rebondissements, qui augmentent en intensité à mesure que les pages s’enchaînent. Il y a parfois une impression de chute vers la caricature du conte, mais elle est chaque fois évitée, bien raccrochée par des crochets scénaristiques et des tournures tantôt tristes ou sérieuses, qui empêchent l’œuvre de basculer dans la satire. Elle demeure ainsi contrastée, protéiforme, ne se définissant pas à l’aune des caractéristiques du conte ou du roman graphique.

Stéphane Fert / Delcourt

Pourtant, l’aspect visuel rappelait déjà le livre précédent de l’auteur, Morgane. Couleurs froides, effets de peinture, l’ensemble était à la fois plein de vigueur et de gel, comme si insérer du violet dans le bleu pouvait réchauffer une ambiance. Le vert forêt y est particulièrement sombre, et les arbres ont d’ailleurs des teintes noires, que les hommes et les dieux sylvains ne semblent pouvoir qu’obscurcir davantage. Les âmes et les yeux ont leur part de responsabilité dans cette atmosphère d’apparence funeste, mais qui veut très vite s’élancer vers aussi bien, l’horreur que le rire. C’est un trait délicat et fin qui amorce ces revirements incessants, très intéressants à constater pour le lecteur envoûté.

Stéphane Fert / Delcourt

Saisir à bras le corps un conte, quitte à presque l’étrangler pour finalement lui insuffler une telle vie dans un décor pourtant proche de l’hypothermie, ce serait une bonne définition du travail que Stéphane Fert est capable de fournir au moment de sortir son nouveau chef-d’œuvre.