Pas sur la bouche - La critique

Resnais, très à l’aise, remet au goût du jour une comédie musicale des années vingt. Avec légèreté et jubilation.

L’argument : Epouse heureuse et femme courtisée, Gilberte Valandray (Sabine Azéma) voit ce bel équilibre menacé par l’arrivée d’un premier époux américain (Lambert Wilson) dont elle avait soigneusement caché l’existence à son second mari (Pierre Arditi).

Notre avis : Resnais exhume une opérette d’André Barde et de Maurice Yvain datant des années folles. Pas sur la bouche eut, en son temps, un très beau succès (quatre années de représentation à partir de sa création, en 1925), et l’on comprend pourquoi. Resnais joue sur du velours, avec une opérette "à la parisienne" rondement menée par des auteurs talentueux : Maurice Yvain composa avec autant de bonheur pour le music-hall, notamment pour Mistinguett, que pour le cinéma (L’Assassin habite au 21) ou la comédie musicale. Et André Barde, qui fut un librettiste de tout premier plan, signait là un livret rythmé et pétillant, jouant avec les mots, les sons et les allitérations.
Le spectateur de la version "Resnais" - habilement remise au goût du jour par Bruno Fontaine - goûtera avec délice une partition à la fois légère et jubilatoire, qui manie simplicité et contrepoint. De trios en quatuors, de quintettes en septuors, l’action est savamment conduite, avec quelques savoureuses adresses au public, une dose de grivoiserie et le charme désuet de toute une époque (le music-hall parisien, les peintres de Montparnasse, ou encore l’Amérique du fox-trot et du rag-time).
Alain Resnais est particulièrement à l’aise dans l’exercice qui consiste à faire passer naturellement les acteurs du chant à la parole et de la parole au chant (les chansons ne sont jamais des "interruptions" musicales). Il vous surprendra aussi dans la mise en scène (qui ne tombe jamais dans le "théâtre filmé"), notamment des quintettes et des sextuors, l’occasion pour lui de jouer avec la démultiplication des voix, des propos et des situations. Très ludique.
Enfin, tous les acteurs offrent un vrai spectacle (jusqu’à Darry Cowl, qui reprend avantageusement un rôle dans lequel s’était illustrée, en son temps, Pauline Carton, c’est dire !). Il n’y a pas de raison de bouder notre plaisir : c’est très réussi.