J’ai tué ma mère.
Le 4 mai 2011
Implacable et violente, cette tragédie bouleverse par la fragilité de son héroïne, incarnée par l’excellente Yolande Moreau.
- Réalisateur : Martin Provost
- Acteurs : Yolande Moreau, Pierre Moure, Jan Hammenecker
- Genre : Drame
- Nationalité : Français
- Durée : 1h45mn
- Date de sortie : 4 mai 2011
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Implacable et violente, cette tragédie bouleverse par la simplicité de son héroïne, incarnée par l’excellente Yolande Moreau.
L’argument : Parce qu’elle a été trop longtemps victime, Rose Mayer décide de prendre son destin en main et assassine son mari. Elle part alors à Bruxelles retrouver son fils, qui a fui l’enfer familial depuis des années. Mais la liberté apparente n’efface pas la culpabilité, et les histoires de famille ne peuvent se résoudre sans l’accord de l’autre. Rose trouvera-t-elle sa place dans ce nouveau monde ?
Notre avis : Avec une simplicité formelle déroutante, Séraphine posait la question du rapport charnel qui unit l’artiste à son oeuvre. Mais sa beauté demeurait froide, maintenant à distance (quoiqu’à dessein) la communion vécue par le personnage éponyme. Pour son quatrième long-métrage, Provost choisit une intrigue contemporaine qui justifie d’autant plus le recours à ce réalisme implacable et distant qui caractérise son cinéma : implacable à l’image de Rose, l’héroïne d’Où va la nuit.
Là où Séraphine sublimait sa violence par la peinture, Rose n’a d’autre choix que la subir. Touchante chez la première, la fragilité apparente de la seconde lui interdit de dépasser ses rapports médiocres avec son mari par la création. Et il semble que tout, autour d’elle, soit condamné à cette simplicité, jusqu’à l’intrigue et à la mise en scène dépouillée de Provost qui rendent compte avec force de la cruauté sous-jacente des personnages. [br]
Comédien de formation, le cinéaste a le sens du "jeu d’acteur" qu’il n’étouffe jamais dans sa mise en scène, donnant à voir l’intensité par le minimalisme et la précision. La musique, par exemple, n’intervient pas comme un ornement ludique pour occuper le vide et combler les silences : au contraire elle ne fait que renforcer leur étrangeté obsédante (utilisation des Ondes Martenot, instrument à la sonorité instable). Exit les effets racoleurs : les corps et les visages suffisent. Et la performance de Yolande Moreau s’en ressent : chez elle, les émotions transparaissent indépendamment de toute parole, par le seul travail de la présence. Où va la nuit est ainsi porté par une alchimie rare et secrète entre ses personnages et la caméra, qui travaille à une transparence ambigue sans jamais sombrer dans les excès pompeux du "théâtre filmé".
Il faut dire que tout n’est pas montré, ou plutôt que tout n’est pas dit. Les dialogues sont feutrés et suggèrent, plutôt qu’ils ne l’exhibent, la violence des sentiments. Car si le réalisateur nous immisce peu à peu dans le quotidien désenchanté de Rose, notamment grâce au regard de Thomas, son fils, ce n’est jamais pour dévoiler l’humanité cachée derrière la "brute". Le procédé aurait été complaisant. Il s’agit au contraire de nous montrer la double aspiration du personnage à la souffrance et au bonheur. Aussi le film se démarque de tout point de vue moralisateur. Bien sûr le geste de l’héroïne pose un problème éthique que prennent en charge, dans la structure narrative, la réaction négative du fils et l’enquête de l’inspecteur Nols. Mais le meurtre, en définitive, demeure opaque. Comme la peinture de Séraphine, il nous touche pas sa beauté et sa puissance libératoire.
Jamais Rose n’est bonne ni mauvaise. C’est un personnage condamné à la solitude et qui a quelque chose d’un roman de Flaubert. Outre l’ancrage "réaliste", le cinéaste porte sur elle le même regard que le romancier sur sa Bovary : elle est le plus souvent émouvante et sublime, mais Provost donne aussi à voir son aspect grotesque (détail de la robe de chambre, incongruïté de certaines situations). Comme Emma Bovary, Rose Mayer est une femme affranchie de tout discours, de tout point de vue, une femme libre ou qui entretient l’illusion de l’être.
Avec son titre clos et étouffant, Où va la nuit est un film qui paradoxalement nous enferme et nous libère. La dernière séquence, pas loin d’être bouleversante, figure ainsi comme une échappée impossible, mais qui n’en laisse pas moins place à la grâce et la légèreté (le visage de Rose, tourné vers la lumière, est balayé par le vent). En cela le métrage redit, comme la peinture de Séraphine, la puissance libératoire de la création.
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