Le 20 août 2014
L’un des gros échecs de Blake Edwards, un thriller autour de l’avortement qui n’a laissé aucune trace dans sa filmographie de comique...
- Réalisateur : Blake Edwards
- Acteurs : James Coburn, Dan O’Herlihy, Pat Hingle, Jennifer O’Neill, Elizabeth Allen
- Genre : Drame, Thriller
- Nationalité : Américain
- Durée : 1h45mn
- Titre original : The Carey Tretament
- Date de sortie : 25 août 1972
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L’un des gros échecs de Blake Edwards, un thriller autour de l’avortement qui n’a laissé aucune trace dans sa filmographie de comique...
L’argument : Alors que le docteur Carey prend ses nouvelles fonctions dans l’hôpital de Boston, la fille d’un de ses proches amis meurt des suites d’une hémorragie provoquée semble t-il par un avortement.
Notre avis A la vision de ce modeste film de Blake Edwards, Opération clandestine , on se sent d’abord déçu : ni les gags de La Panthère rose , ni l’incroyable mécanique de The Party, ni même le jeu sur les codes du western dans Deux Hommes dans l’ouest , bref, rien de ce qui nous séduit chez Edwards ne se retrouve ici. En lieu et place, une intrigue mollassonne autour d’un avortement clandestin (d’où le titre français), avec accusé innocent et enquêteur prêt à tout. On s’attendrait à une subversion des clichés du genre, à une parodie élégante, mais le réalisateur se moque de la recherche du coupable : il ne vise pas le suspens haletant.
Alors quoi ? Qu’y a-t-il à sauver de The Carey treatment (titre original) ?
Prenons-le par un biais historique : le film est une réflexion intéressante sur le cinéma des années 70. Loin des scénarios carrés dans lesquels tout fait sens, il adopte un traitement relâché, à l’image du héros velléitaire, incarnation du « cool ». Le Docteur Carey ne travaille quasiment pas, il mène une enquête qui semble se conduire toute seule, un peu comme celle du Privé d’Altman. On est ainsi loin de l’économie du film noir et de ses rebondissements. Au final, c’est à une déconstruction que Edwards nous convie : il parie sur une fatigue des genres et sur une remise en cause des éléments classiques. Les héros sont fatigués, ils n’y croient plus. James Coburn promène sa nonchalance , séduit à tout va, cogne, a la réplique facile mais fondamentalement il ne joue pas le jeu. Son ironie est celle du film à l’égard du cinéma : comment filmer encore une histoire de meurtre, après tant de scénarios sérieux ou parodiques, simples ou complexes ? Il semble que, à l’instar de beaucoup d’œuvres des seventies, Opération clandestine adresse un clin d’œil au spectateur : « Ne prends pas ça au sérieux, exerce ton regard critique, c’est du faux ». Là où le cinéma classique présuppose un monde ordonné, dans lequel il y a un sens, le film d’Edwards, se rattachant ainsi à tout un courant de remise en cause de la narration traditionnelle, proclame , même en mineur, la vanité de son univers diégétique. A la lettre, il n’y a plus de sens.
Dans cette optique, le choix de Coburn, rarement crédible en médecin, est cohérent : depuis au moins Notre Homme Flint (Daniel Mann, 1966), il incarne le second degré sous la forme du séducteur mufle au coup de poing facile. Ici trois femmes se pâment devant lui ; signe des temps, elles sont directes : pas de romantisme, du sexe. Ce sera l’invite d’une laborantine aussi bien que le récit faussement prude de la locataire. Ce sera aussi la photo prise (par qui, d’ailleurs, et pour le compte de qui ? … On n’en finirait pas de comptabiliser les trous du scénario) du couple de héros à travers une verrière, dans une intention de chantage aussi ridicule que vite oubliée. La « révolution sexuelle » est passée par là, mais Edwards ne pousse pas l’audace très loin, et c’est l’une des limites majeures du film : certes, on parle librement, on couche le premier jour, et les gamines de 15 ans ont une vie sexuelle. Mais l’avortement est encore un crime, dénoncé sans vigueur (la sensiblerie du médecin accusé ne tient pas lieu d’argument !). Et le happy end ne laisse pas de doute : rien ne vaut un bon foyer traditionnel, avec un enfant, même celui d’un autre.
Au total, on ne se sent devant Opération clandestine ni pleinement convaincu, il s’en faut de beaucoup, ni entraîné dans une intrigue originale ou au moins captivante, ni admiratif (pas d’effet de mise en scène, de cadrage au cordeau), ni stimulé intellectuellement (on est loin d’une réflexion sur le genre ou d’une mise en abyme radicale), mais plutôt en visite sur un terrain connu et légèrement décalé : les zooms sont bien là et trahissent leur époque, il y a bien une poursuite, quelques coups de poing, une romance, des personnages antipathiques et un héros vertueux que rien ne décourage, sauf que personne, et surtout pas le spectateur, n’y croit. Dans la période de contestation du Nouvel Hollywood, tout se passe comme si Edwards regardait d’un œil amusé ce que sont devenus les studios et , le temps d’un film, s’arrêtait dans sa recherche de perfection pour montrer que lui aussi pouvait jouer la négligence dans une époque qui rejetait les codes élaborés au cours de plusieurs décennies, depuis Griffith si l’on veut. Oh ! Il y reviendra (pensons par exemple à Victor Victoria), mais Opération clandestine a la saveur un peu fade de ces récréations de collège dans lesquelles les jeux n’ont plus le goût de l’enfance : on n’y croit plus mais on aime encore faire comme si .
Notes sur le film : Après l’échec cuisant de son expérience dans le western (Deux hommes dans l’Ouest, Blake Edwards, surtout connu pour ses irrésistibles comédies (les Panthère Rose, The Party...) revient en 1972 au thriller, genre qu’il avait abordé avec Allô, brigade spéciale. Il adapte ainsi le roman de Michael Crichton (A case of need), auteur prometteur (Le mystère andromède en 71, puis en 73 Mondwest) qui participe à l’élaboration du scénario. Malheureusement, le film est de nouveau un naufrage artistique et financier, malgré la présence de James Coburn dans le rôle principal. Ce thriller en milieu médical où l’on enquête sur la mort de la fille du directeur de l’établissement, décédée durant un avortement illégal, est plat, tourné sans grand génie, par un cinéaste qui cherche ses marques. Le seul intérêt de cette curiosité reste son sujet de société, le droit à l’avortement dans une nation alors anti-IVG, qui ne faisait pas dans la dentelle. Une bonne intention...
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