Ma langue, mon pays
Le 11 février 2003
La quête pathétique d’un soldat amnésique dans la Finlande des ultimes mois de la Seconde Guerre mondiale.
- Auteur : Diego Marani
- Editeur : Rivages
- Genre : Roman & fiction
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De la langue en tant que racine identitaire. La quête pathétique d’un soldat amnésique dans la Finlande des ultimes mois de la Seconde Guerre mondiale.
Étonnement. Voilà un homme que d’aucuns prendraient pour un doux allumé. Traducteur principal au Conseil de l’Europe, n’est-il pas le créateur de l’europanto [1], langue-canular destinée à détrôner l’espéranto ? Idiome fabriqué de bric et de broc, dans lequel il s’exprime par voix de presse dans divers quotidiens européens, et qu’il a même mis en polar dans Las adventures des inspector Cabillot [2]. Peut-on décemment faire confiance à un farceur de cet acabit et se procurer l’ouvrage sérieux qu’il vient d’écrire, soit dit en passant dans sa langue maternelle, l’italien ? La réponse est oui, sans ambages.
Comme Diego Marani a pour métier de jongler avec les mots d’ici et d’ailleurs, c’est le finnois qu’il a choisi pour toile de fond de son éblouissant et poignant roman qui démarre au large de Trieste, en 1943, sur un navire-hôpital allemand. Y est recueilli un soldat au crâne en bouillie que le médecin-chef d’origine finlandaise, se fiant au nom inscrit sur sa vareuse, prend pour un compatriote. Patiemment, il apprendra les rudiments de sa langue au miraculé amnésique puis s’arrangera pour le faire rapatrier vers Helsinki.
Construit à deux voix narratives, les cahiers de l’homme sans mémoire, le présumé Sampo Karjalainen, et les annotations du médecin, Nouvelle grammaire finnoise nous projette dans l’angoisse d’un homme auquel son visage même est étranger. Et qui tente frénétiquement d’ouvrir les portes de son passé en mettant en équations les éléments de la langue d’une difficulté diabolique que lui enseigne l’aumônier de l’hôpital dans lequel il a échoué. Errance au fil des saisons, de jours noirs en nuits blanches, dans une ville étouffée par la guerre. Attente vaine d’un signe qui réveillera "cette part qu’il porte morte en lui". Sentiment funeste de faire fausse route en endossant une identité usurpée. Incapacité de renoncer à la quête du passé pour se livrer au présent et se reconstruire une mémoire neuve. Ainsi, à l’amour qui se présente à lui, Sampo Karjalainen, incapable "d’offrir le coeur d’un inconnu", se refusera.
Dans le cadre d’une Finlande dont il fait vibrer le mystère, Diego Marani disperse l’entendement de son soldat perdu au rythme du Kalevala, le grand poème épique finlandais, éclairant par des métaphores de toute beauté la complicité d’un peuple avec son histoire, sa langue, sa terre et son climat. Dans cette atmosphère où la légende côtoie quotidiennement la réalité, la prenante chronique de cet homme factice, abandonné à lui-même, cousant désespérément les mots pour s’en refaire une patrie, nous rappelle que, plus que le pays, c’est la langue qui est la mère, le socle identitaire, la véritable terre natale. Dépourvu des mots de l’enfance, l’homme ne peut plus s’envisager un futur. Comme le mythique géant Antero Vipunen, Sampo Karjalainen demeurera tragiquement "enfermé en dehors de lui-même". Ayant perdu sa guerre, il ne lui restera plus qu’à aller au-devant de son destin.
Diego Marani, Nouvelle grammaire finnoise (Nuova grammatica finlandese, traduit de l’italien par Danièle Valin), Rivages, 2003, 175 pages, 16,95 €
[1] Diego Marani présente ainsi l’europanto, dans une interview au magazine online italien Traspi.net : "Europanto esse eine mix van différente linguas, eine explosive cocktail van mistakes qui want show quanto linguas esse similars." Pour en savoir plus, le site de l’europanto
[2] Mazarine, 1999
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