Retrouvailles avec soi
Le 8 octobre 2003
Anne-Marie Garat, comme envoûtée pas son sujet, livre un texte embrasé qui jette des ponts subtils entre le présent et le passé.


- Auteur : Anne-Marie Garat
- Editeur : Actes Sud
- Genre : Roman & fiction, Littérature blanche
- Nationalité : Française

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Anne-Marie Garat, comme envoûtée par son sujet, livre un texte embrasé, d’une magnifique complexité, qui jette des ponts subtils entre le présent et le passé.
Pénétrer dans ce texte d’Anne-Marie Garat, c’est être happé et ensorcelé, le lire comme elle semble l’avoir écrit, d’un seul jet, dans une sorte de transe hallucinatoire, courant après des fantômes, décryptant des signes, laissant entrer le passé par effraction pour aborder les territoires archaïques de la mémoire ensevelie. Sa narratrice, au cours d’un déplacement professionnel dans le Sud-Ouest, fait nuitamment et dans une pinède odorante, la rencontre de Laura dont elle ressent, avant même d’avoir vu son visage, qu’elle est plus qu’une sœur, son "ombre perdue". Pareillement, elle ressentira cette proximité inexplicable avec une terrifiante scène de viol, imprimée sur un rouleau photographique abandonné depuis des décennies au fond d’une caisse.
A partir de cette série de photos et de ces "retrouvailles" nocturnes, le récit d’Anne-Marie Garat se développe, s’enchevêtre, mêle passé, présent et avenir dans une (en)quête qui traverse des endroits parfois banals, parfois mystérieux, jamais neutres, où se multiplient les rencontres toujours révélatrices. La mémoire zigzague, marque un temps d’arrêt, cale, toussote et redémarre, s’envole et part en vrille. Les lieux géographiques, Amsterdam, Paris, Phoenix ou Arezzo, résonnent de réminiscences ténues, mais toujours les fils de la toile d’araignée ramènent à un centre qui se trouve du côté des Landes, du Médoc et des Pyrénées, région chère au cœur de l’auteure et qu’elle dépeint avec des accents chatoyants.
Incitée par l’énigmatique Laura à poursuivre les petites lueurs clignotant dans les ténèbres, la narratrice, ignorant - ou feignant d’ignorer - les raisons qui la poussent, s’aventurera toujours plus loin, dans ses propres zones d’ombres. En creux se révèle la blessure secrète mais qu’elle croit pourtant "connaître déjà" : l’abandon par la mère. Ce que la mère a "fait et défait", la narratrice à son insu le "refait" en jetant des ponts entre le passé et le présent. Refus de l’oubli, refus de l’absence, elle ressuscite les morts qui "réclament qu’on les fasse vivre", suit l’appel des signes qui "brûlent dans l’obscurité", repousse les trompe-l’œil et les illusions. Dans une sorte d’instinct de survie, elle ose, malgré son trouble, aller à la découverte d’elle-même.
L’intranquillité de cette recherche sourd dans une écriture fiévreuse et envoûtante. Donnant l’impression de s’être mise dans un état de disponibilité totale, Anne-Marie Garat suit ces multiples cheminements en amples périodes, sans reprendre son souffle, à l’image des méandres de la mémoire. Sortilèges d’une langue embrasée, d’un texte subtil et complexe. La musique singulière de Nous nous connaissons déjà hante son lecteur, longtemps après avoir fermé le livre. Car elle va droit au plus intime, en suggérant ce pays dangereux, celui où l’on n’arrive jamais, mais dont il nous arrive de frôler les lisières ouateuses...
L’extrait |
Anne-Marie Garat, Nous nous connaissons déjà, Actes Sud, 2003, 338 pages, 19,50 €