Le 22 décembre 2024
- Réalisateur : Robert Eggers
- Acteurs : Willem Dafoe, Nicholas Hoult, Aaron Taylor-Johnson, Simon McBurney, Ralph Ineson , Lily-Rose Depp, Bill Skarsgård, Emma Corrin
- Genre : Épouvante-horreur, Remake
- Nationalité : Américain
- Distributeur : Universal Pictures France
- Titre original : Nosferatu
- Âge : Interdit aux moins de 12 ans avec avertissement
- Date de sortie : 25 décembre 2024
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Robert Eggers, cinéaste hanté par le refoulement, filme la sexualité féminine réprimée comme un monstre démoniaque délié de l’inconscient. Ce cauchemar entêtant réinvente le mythe cinématographique de Nosferatu à l’aune du féminisme contemporain, avec une ardeur dévastatrice.
Résumé : Nosferatu est une fable gothique, l’histoire d’une obsession entre une jeune femme tourmentée et le terrifiant vampire qui s’en est épris, avec toute l’horreur qu’elle va répandre dans son sillage.
Critique : Robert Eggers est un cinéaste du refoulement, de l’entrave, de l’interdit. En associant le réalisme historique, à la lisière du documentaire dans son traitement narratif qu’on pourrait rapprocher de la chronique, à une fantasy abstraite et cauchemardesque, comme un écho emphatique du réel, Eggers mène un geste cinématographique aussi vacillant que perturbant, à savoir apporter de la contemporanéité au sein de mythes et légendes ancestraux, profondément inscrits et ancrés dans l’imaginaire collectif, comme la Sorcière dans The Witch ou l’imagerie lovecraftienne dans The Lighthouse, et en extraire une sève nouvelle, et de fait se rapprocher d’une forme de réécriture symbolique, à la manière d’un alchimiste démiurge. Eggers a toujours conçu ses récits dans une arène fermée, un huis clos à ciel ouvert où circulent les différents flux de désirs du protagoniste principal, toujours isolé de la masse, dont la folie furieuse et meurtrière constitue le point d’acmé, où le monde que l’on connaissait s’embrase dans un mouvement expiatoire où la grande lumière, alors inexistante, ou plutôt en attente, surgit des ténèbres noirs.
- Nicholas Hoult
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Dans The Witch, après avoir essuyé l’humiliation de sa famille et du diktat patriarcal mené par son Père tout du long du film, Thomassin, alors seule survivante de sa famille massacrée, se résout à écouter la voix douce et sensuelle du Diable, dans une scène à la lumière chaude et incandescente, en contraste total avec le ton désaturé et grisâtre du film, avant de mener la marche, devant le Black Philip, et rejoindre un sabbat de sorcières illuminé d’un feu chaleureux et orgasmique. D’un point de vue psychanalytique, nous assistons ni plus ni moins à une pure séquence d’émancipation pour le personnage de Thomassin. Vu comme une déchéance par le spectateur, influencé par son regard masculin qui diabolise son émancipation, c’est bel et bien une victoire pour le personnage. Il en est de même avec The Lighthouse, qui partage la même fougue purificatrice. La figure phallique du phare perdu sur une île cernée par les tempêtes symbolise pour le spectateur la lutte d’un esprit perturbé, celui du personnage d’Ephraim Winslow, animé d’une homosexualité refoulée, face à la sexualité dite naturelle. La tension sexuelle évidente qu’il partage avec le personnage de Thomas Wake, son supérieur hiérarchique et gardien du phare, est pour Eggers un moyen de cristalliser cette rivalité entre les deux hommes pour préserver leur hétérosexualité dans un monde de plus en plus pestilentiel, fétide et empreint d’une brume âcre. La conclusion du film où Ephraïm, ayant en réalité une double identité sous le nom de Thomas Howard, est comme aspiré par la lumière enchanteresse du phare, touchant le Sublime avant de tomber et se faire dévorer par les mouettes, symbolise, une fois encore, une forme de pinacle orgasmique dans la douleur.
- Nicholas Hoult
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Dans un geste de réévaluation du mythe de Nosferatu, après le classique de Murnau et l’adaptation de Werner Herzog, Robert Eggers entreprend de faire du monstre sacré de l’expressionnisme allemand un symbole du romantisme noir, même plus que cela, une manifestation parapsychique du plaisir sexuel féminin refoulé, en le reliant instinctivement avec le personnage d’Ellen Hutter, comme deux faces d’une même pièce, la blancheur virginale et cadavérique d’un côté et la putréfaction moite et suintante de l’autre. En ressuscitant la légende du comte Orlok, Eggers filme l’autonomisation d’une adolescente, dont les crises d’hystérie, en tous les cas qualifiées comme telles par les médecins masculins du film, se muent peu à peu en scènes de possession démoniaque, la lévitation en prime. La supplique "Viens à moi" qu’elle ne cesse de rabâcher prend alors un sens nouveau, d’autant plus qu’une filiation mystique semble se dessiner entre la jeune fille et le vampire à mesure que le métrage se déploie, alors même que le mari d’Ellen, Thomas Hutter, a écourté la nuit de noces pour se rendre dans le manoir du comte Orlok, afin de signer une transaction immobilière. Son époux, faisant office de garant vers le droit chemin, vers une sexualité genrée imaginée par et pour l’Homme, avec la Femme comme support plus ou moins complaisant à la mise en acte de ses fantasmes, ayant quitté le cocon, la véritable nature d’Ellen peut enfin se révéler en plein jour. La mélancolie qu’elle éprouvait jusque-là devient alors l’instrument de son salut, le fléau de Nosferatu et la Peste qu’il emporte avec lui sur le village de Wisborg étant pour elle la châtiment qu’elle draine sur cette société pudibonde et chaste qui a depuis la nuit des temps attisé une forme de haine du féminin. Pour Eggers, la possession est la manifestation d’une sexualité féminine refoulée par la société patriarcale et Nosferatu, le doppelgänger de cette démone dévoratrice de mondes. L’acte final du film, montrant la symbiose du Beau et du Monstrueux, le vampire suçotant le ventre d’Ellen avec délectation, les deux corps se contractant, des bruyères d’hiver disposées ici et là sur le lit, puis le visage déformé de Nosferatu et ses yeux noirs béants, le visage angélique et calme d’Ellen, comme une réincarnation de l’Ophélie de John Everett Millais, exhale l’horreur comme le théâtre du retour du refoulé. Que la lumière soit !
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