Le 2 décembre 2016
LaBruce signe avec ce premier film une œuvre dérangeante, rugueuse, qui est aussi une réflexion sur le cinéma.
- Réalisateur : Bruce LaBruce
- Acteurs : Bruce LaBruce, Klaus von Brucker
- Genre : Drame, Romance, LGBTQIA+
- Nationalité : Canadien
- Editeur vidéo : Épicentre Films Éditions
- Durée : 1h13mn
- Date de sortie : 19 août 1998
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– Année de production : 1990
– Le film est inclus dans le coffret Bruce LaBruce avec Super 8 1/2 et Hustler White
– Sortie du coffret DVD : le 6 décembre 2016
Résumé : Fiction érotique et manifeste politique réalisé dans le style du documentaire dans la plus pure tradition underground.
Notre avis : Un skinhead dans la rue, en attente d’on ne sait quoi ; un visage en gros plan près d’une télé ; et sur l’écran de cette télé, le générique d’un film d’ Altman, That cold day in the park, dont Bruce LaBruce fait une sorte de pendant homosexuel. Trois espaces, que rien ne vient joindre tant bruitages, images et musiques les séparent. C’est en quelque sorte dès les premières minutes, un programme esthétique – et presque éthique- lancé par une caméra tremblante, jouant du flou et du cadrage approximatif comme une revendication. Aucun doute, nous sommes dans l’expérimental, l’underground, l’ « autre cinéma », renforcé ici par une connotation sexuelle proche de la pornographie et c’est d’ailleurs l’un des questionnements du film que cette limite entre ce qu’on peut montrer, c’est à dire le corps, et ce qui échappe à l’image, ou plutôt qu’un montage et des cadrages violents peuvent essayer de forcer sans jamais parvenir à l’essence même.
Déshabiller un homme (le skinhead ne cesse de l’être que ce soit par sa sœur ou par le coiffeur), scruter sa peau, son intimité, s’attarder sur son corps qui nage, c’est se heurter à ce qui n’apparaît jamais réellement ; l’idée forte de LaBruce est de faire du jeune homme une sorte de projection fantasmatique, un muet docile, dont on se demande au début s’il existe (une partie du film est rêvée) ou même s’il n’est pas déficient intellectuellement. Il n’existe d’abord que par le regard du coiffeur et sa logorrhée verbale, que par ses gestes (donner le bain, enfermer), et c’est dans la deuxième partie que, par la rencontre avec la sœur, on en sait un peu plus. Un peu seulement, tant le film joue avec l’énigmatique : saisissant le présent, un présent chaotique, fragmentaire, il s’interdit de longues explications (qui est par exemple l’enfant qui joue avec le coiffeur ?), alors que paradoxalement deux personnages ne cessent de parler. Mais, s’agissant de la sœur, son langage d’intellectuelle révolutionnaire stéréotypé, dont visiblement le cinéaste se moque, n’aboutit à rien : elle doit partir, a des ennuis avec la police et son projet abscons de film s’interrompt. Le corps contre le raisonnement, le premier l’emporte sans discussion.
Par-delà une esthétique de l’image volée, du déséquilibre, LaBruce joue avec des codes cinématographiques en réel subversif : prolonger les séquences jusqu’au malaise (le sein percé) ou au risque de l’ennui, s’attarder sur les corps ou les visages en une fascination qui suspend la narration, c’est déjà œuvrer contre le cinéma dominant. Mais, plus subtilement, il ne cesse de jongler avec l’attendu, comme avec les clichés : il faudrait là citer une grande partie du film ; bornons-nous à deux exemples. Le plus marquant est l’utilisation de la musique, qui peut coïncider ou pas avec l’image, être ou pas diégétique, et surtout mêler plusieurs pistes concurrentes. D’autre part, encore plus camouflé, la moquerie par rapport aux stéréotypes des histoires d’amour révèle une dimension humoristique qui parcourt l’ensemble du métrage ; ainsi la fin voit-elle les deux amants en action alors que la voix off du coiffeur dévide un discours amoureux convenu (ou presque) : le décalage entre l’image et son commentaire est aussi une contestation du cinéma dominant, mais en mineur.
Voir No skin off my ass aujourd’hui, ce n’est pas (plus ?) être choqué par des images érotiques explicites (mais, rappelons-le, le film est interdit aux moins de 16 ans) : l’audace est ailleurs, nous semble-t-il, dans la recherche esthétique du sale, de l’amateur, dans la post-synchronisation complète et très approximative, dans les ruptures incessantes, dans l’utilisation de la durée et son étirement. Ce faisant, LaBruce enregistre aussi un monde chaotique et abstrus, dans lequel des personnages vivent au présent, dans des espaces incongrus (l’intérieur du coiffeur !), avec un fort sentiment d’inanité. Et la morale, en quelque sorte, c’est que la seule chose qui rende vivant, c’est la sexualité, le corps, la peau, cette peau contre laquelle la caméra ne cesse de buter.
Les suppléments :
Outre une petite galerie photos et des bandes-annonces de films parus, le DVD propose un étonnant court-métrage qui est une sorte de version radicale du film : des images saturées ou colorées par des filtres, un bruitage qui tient lieu de musique et de dialogues, et des scènes du quotidien. C’est à la fois irritant et fascinant (Bruce and Pepper Wayne Gacy’s home moviesde Bruce LaBruce et Candy Parker, 11 minutes).
L’image :
Il est évidemment délicat de juger une image à ce point hors-normes : grain épais, lisibilité défaillante par moments, parasites … Mais une grande part (la totalité ?) de ces « défauts » est voulue …
Le son :
Là encore, la post-synchronisation complète, les bruitages décalés, la musique trafiquée, tous ces éléments sont voulus, réfléchis, travaillés. La piste disponible (VO avec sous-titres facultatifs) rend compte de ces choix, sans que l’on puisse mesurer l’impact d’une éventuelle dégradation.
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