Plongée en terre inconnue
Le 10 août 2011
Combat cinématographique de toute une vie, Neko dernière de la lignée est l’histoire vraie d’une jeune nenette en voie de déperdition culturelle.
- Réalisateurs : Anastasia Lapsui - Markku Lehmuskallio
- Acteurs : Aleksandra Okotetto, Nadezhda Pyrerko, Anastasia Lapsui, Jevgeni Hudi, Ljudmilla Zannikova
- Genre : Drame
- Nationalité : Finlandais
- Date de sortie : 10 août 2011
- Plus d'informations : http://www.sukunsaviimeinen.fi/
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– Durée : 1h24mn
– Titre original : Sukunsa viimeinen
– Langues originales : Russe et Nenet
Combat cinématographique de toute une vie, Neko dernière de la lignée est l’histoire vraie d’une jeune nenette en voie de déperdition culturelle.
L’argument : Sibérie soviétique, années 1960. La jeune Neko, enfant du peuple nomade des Nenets, vit au rythme des saisons en plein cœur de la toundra avec sa grand-mère et son père. Elle se destine à devenir chamane. Mais la région riche en énergie intéresse le pouvoir soviétique. Comme d’autres, Neko va être arrachée à sa famille pour être éduquée dans un internat à la gloire du parti. Rebaptisée Nadja, dernière de sa lignée, elle n’aura plus jamais la même vie.
Notre avis : Neuvième coréalisation des cinéastes Anasatasia Lapsui et Markku Lehmuskallio, Neko est issu d’une longue lignée cinématographique. De La danse du corbeau filmant l’installation autoroutière dans la Finlande du Nord en 1980, aux sept chants de la Toundra contant déjà le combat engagé par le peuple Nenet, l’œuvre des deux auteurs fait acte de résistance. Proche de l’instantané journalistique et du cours de socio, Neko, dernière de la lignée dans sa fiction prend des airs de documentaire.
Cadres posés, caméra statique, épure sonore, le film semble poursuivre à travers les vastes étendues sibériennes un seul et même objectif : nous acclimater à l’immensité de la plaine du Yamal, principal territoire du peuple Nenet, pour mieux nous en faire ressentir sa beauté. Entre rites folkloriques, chants chamaniques, et les costumes en peau de renne, l’authenticité du sujet se maîtrise dans la justesse et la précision. Et pour cause, malgré une imperceptible mise en scène, tout se mesure au millimètre près dans les films de Lapsui et Lehmuskallio. Chaque racine a sa place dans le grand arbre sibérien et la question de la filiation court ici de plan en plan. Alors que la société nenette repose sur le modèle patriarcal, c’est la figure de la mère qui interroge. Absente de la vie de Neko, c’est la grand mère qui fédère la famille autour du tronc porteur soutenant l’habitat. Garante des traditions et des croyances ancestrales, elle fait figure d’autorité dans le clan. C’est d’ailleurs sur elle et sur ses connaissances que se brodent les souvenirs du personnage vieilli de Neko, narratrice de l’histoire. Aussi lorsque la mère ressurgit d’entre les Russes pour ramener sa fille en ville, tout ne va pas sans heurts.
Mais le projet soviétique d’unification du territoire n’entend pas laisser échapper une future travailleuse, et bientôt Neko n’a d’autre choix que d’abandonner les siens.
Dans la plaine du Yamal, les pas de Neko tracent une nouvelle direction.
A l’écran, une photographie léchée, douce et cotonneuse à l’image du tapis de neige recouvrant la toundra, ou des vêtements colorés et des rubans dans les cheveux : l’esthétique joyeuse et vivifiante de Neko, dernière de la lignée est un vrai plaisir des yeux. Une image qui tranche d’avec le sérieux et la dureté d’un sujet fortement politisé. Car la jeune fille nenette est bel et bien la dernière de sa lignée. Enfant unique du clan, la jeune fille forcée de partir vers le sud, pour se "civiliser", laisse derrière elle famille, repères, et le cocon de l’enfance. De l’espace rond, chaleureux et maternel de la yourte, on passe alors à l’espace carré, froid et impersonnel de la collectivisation : l’internat soviétique. Extirpée et déracinée de son milieu naturel, Neko détonne entre les quatre murs de béton.
Ici rien n’est adapté pour elle, ni la langue qu’elle se doit de changer, ni les vêtements qu’elle doit délaisser, ni même son prénom, qui lui aussi se voit réformé. Un véritable choc des cultures, lorsque l’on sait que pour un Nenet, perdre son prénom c’est perdre son âme. Neko devient Nadja. La solitude et enfermement, cernés par de longs plans séquences, persuade Neko de s’enfuir. C’est décidé, elle passera Noël dans le nord. Accompagné d’un ami, elle tente une remontée à contre-temps.
Mais l’échappée n’est que temporaire, et bientôt les deux camarades rejoignent les bancs de l’école. S’engage alors la résistance passive de Neko dont la lourdeur de l’immobilité et de l’impassibilité fait barrage à toute déviation de son être. Refusant de manger autre chose que du poisson, s’obstinant à parler nenet en classe, préférant l’école buissonnière, la jeune fille se protège du monde extérieur, gardant toujours contre son cœur un collier sacré. Fidèle à ses racines nenettes, Anastasia Lapsui, caméra au poing, est engagée depuis maintenant vingt ans pour la survie d’une minorité oubliée. Méconnue du monde et de ses médias, le peuple nenet lutte en effet depuis près d’un siècle contre le phénomène de russification. Si l’éclatement de l’URSS a éclairci ses perspectives d’avenir, leur destin reste incertain. C’est contre cette fatalité que se bat la réalisatrice, que l’on peut aussi observer dans le rôle de la grand-mère autoritaire et combative. Le thème de l’ingérence et de l’assimilation culturelle finit par former le fil conducteur du film, à tel point que l’on n’entrevoit que très peu les bienfaits de l’éducation offerte. Le géant soviétique embrume esprits et consciences au point de peindre de rouge les rêves de Neko. Ce sera d’ailleurs ce rêve rouge, contre lequel son grand-père l’avait mise en garde, et que l’on peut aisément qualifier de métaphorique, qui sonnera l’évasion de Neko. Par le jeu d’un récit binaire mêlant temporalités et point de vues (jeune fille et vieille dame), le film prend source dans l’acte confessionnel et testamentaire d’une Neko en fin de parcours. Dans la délivrance de ses souvenirs, le contraste de la vie avant et après l’intégration de l’école russe est saisissant. A commencer par le cadre qui, d’ouvert sur l’horizon, se fait fermé sur la maison, celle de la nouvelle identité de Neko. Face caméra Neko se raconte comme elle se confierait à un journal intime. De son enfance en terre Yamal ne reste plus que le manteau troué cousu par la grand-mère, jalousement conservé par notre héroïne. Mais loin de prendre le chemin d’une condamnation aveugle et d’une insurrection rancunière, ses conclusions étonnent. Son héritage mis à mal, elle ne rejette pas entièrement son parcours en classe soviet. Dans le cadre, la vieille Neko est maintenant totalement assimilée à la civilisation moderne russe. Son regard éteint, sera-t-elle là pour guider le peuple Nenet ?
Neko est donc un joli petit film indépendant, porté par une héroïne attachante, des paysages à couper le souffle, le tout réuni pour une bonne cause : la préservation du multiculturalisme.
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