Le 3 mai 2015
Un acteur est né, sous les traits de l’auteur le plus doué et controversé de sa génération, tandis que les deux cinéastes poursuivent inlassablement leur chemin de traverse, assurément l’un des plus réjouissants et nécessaires du cinéma français.
- Réalisateurs : Benoît Delépine - Gustave Kervern
- Acteurs : Benoît Delépine, Gustave Kervern, Marius Bertram, Michel Houellebecq
- Genre : Comédie dramatique
- Nationalité : Français
- Distributeur : Ad Vitam
- Durée : 1h27mn
- Date de sortie : 10 septembre 2014
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- Sortie DVD : le 1 avril 2015
- Suppléments DVD : Interview de Michel Houellebecq par Benoît Delépine (1’30minutes) - Bande-annonce - Livret "Les monologues de Paul", les textes du Off de Houellebecq dans le film (16 pages)
L’argument : Paul, un employé sur une plateforme téléphonique, est en plein burn-out. Un vendredi 13, la chronique du journal télévisé sur ce jour particulier lui apparaît comme un signal pour passer à l’acte. Décidé à concrétiser son geste, il s’enfuit dans la montagne où il va vivre une expérience unique.
Notre avis : Après Gérard Depardieu dans Mammuth, Benoit Poelvoorde et Albert Dupontel dans Le Grand Soir, c’est au tour du romancier et poète Michel Houellebecq de se livrer devant la caméra de Kervern et Delépine. Sixième long-métrage du duo, entre gravité et dérision typiques de leur filmographie, Near Death Experience fait office de testament. Crise de la cinquantaine oblige, les éminents grolandais empruntent une voie quasi stendhalienne, l’humour n’empêchant aucunement le spleen. Un portrait de l’homme moderne, forcément inadapté, qui fait état d’un monde en déliquescence, hanté par l’idée de la mort. Houellebecq y campe Paul, un petit employé en proie aux vicissitudes contemporaines, fussent-elles centenaires : « Qui suis-je ? Où vais-je ? Dans quel état j’erre ? ». Bien décidé à échapper à cette morne existence consacrée à un travail avilissant et dédiée à une famille qui ne le remarque plus, notre homme se fait la malle. À bicyclette et avec l’idée d’en découdre avec sa vie. Le voici donc parti sur les routes, corps burlesque affublé d’un maillot de coureur cycliste, direction le maquis pour une retraite qu’il espère sans retour.
(c) Ad Vitam Distribution
« Une des rares qualités que les gens me reconnaissent, c’est ma conscience professionnelle. J’ai toujours été jusqu’au bout des travaux que j’ai entrepris, que ce soit dans le cadre de mon travail ou dans le privé. Enfant par exemple, j’ai toujours fini mon assiette. » On retrouve dans ce monologue intérieur tout l’art du contrepied que l’on prête aisément aux deux auteurs, plus habitués aux comédies à l’accent social et libertaire qu’au drame existentiel. Et pourtant NDE est un pèlerinage dans les eaux troublées de la conscience humaine. Loin du cynisme ambiant, cette vision désabusée du monde relève du magnifique. Le film est bercé par la voix off monocorde de Michel Houellebecq, animal efflanqué qui hérite d’un stoïcisme absolu et d’un air impavide. C’est pourtant une grande humanité qui se dégage de l’homme acculé. Et voici là l’un des premiers rôles de l’auteur que l’on découvre troublant de vérité et que l’on se réjouirait de voir plus souvent (on vous invite également à le découvrir dans la comédie de Guillaume Nicloux, L’enlèvement de Michel Houellebecq).
Tourné sans beaucoup de moyens (moins de 200 000€) à l’aide d’une caméra numérique de première génération, l’image scope granuleuse et pixelisée participe à la poésie qui irrigue le film. Comme dans leurs précédentes réalisations, le choix du support et du format fait partie intégrante du geste créatif. Aaltra était tourné en noir et blanc et en 4/3, Mammuth à l’inversible (une vieille pellicule des années 70), tandis que pour Le Grand Soir, ils avaient fait le choix du numérique haute-définition. Il résulte de ce tournage éclair de 9 jours effectué avec une équipe réduite (accompagnés par leurs inséparables chef-opérateur Hugues Poulain et ingénieur du son Guillaume Le Braz) une totale liberté et une beauté sauvage. Tourné essentiellement dans les paysages magnifiques de la Montagne Sainte-Victoire en Provence et porté par le charisme d’un seul acteur, le pari osé du film est tenu. Quelques personnages secondaires sont traités de la même manière que l’était Poelvoorde dans Aaltra, leurs existences ne passant que par leurs silhouettes (disons leurs bustes) et leurs voix, à deux exceptions près. Ces apparitions fugaces nous renvoient à l’extrême solitude de Paul. Le film, bercé par une bande son à la fois classique et rock (Schubert et Black Sabbath s’y côtoient) se trouve toujours sur la corde raide et s’enrichit de ses opposés, une « dramédie » qui tranche. NDE est certainement leur film le plus fluide, abandonnant la frénésie du sketch pour un OFNI émouvant qui en décontenancera forcément quelques uns. Une certaine lenteur et léthargie s’en dégage, sans pour autant nuire à l’intérêt du projet. Car ce minimalisme radical n’est pas à mettre entre toutes les mains. Ici, point de divertissement, le média cinéma agit plutôt comme un miroir à peine déformant de notre réalité complexe. C’est justement l’idée qui accompagne le cinéma de Kervern et Delépine depuis leurs débuts, l’individu et la société sont au cœur d’une contradiction. Nous rencontrons souvent dans leurs films des personnages éreintés, perdus, imparfaits, toujours un peu à la marge qui évoluent dans une société qui ne les comprend plus et les ostracise. Ce mal du siècle qu’est la dépression ne pouvait trouver plus juste incarnation dans cette écriture douce-amère et dans la tronche défraichie et inoubliable de Houellebecq. NDE s’ajoute ainsi à la filmographie passionnante du duo, une œuvre engagée à dépeindre notre société sans aucune complaisance.
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