Né pour tuer - la critique du film

Notre avis : Peu connu en France, très réputé aux USA, scandaleux à sa sortie, Né pour tuer reste aujourd’hui, malgré des imperfections évidentes, un film noir puissant et particulièrement tortueux. On pourra toujours ergoter sur l’interprétation : le jeu de Claire Trevor et Lawrence Tierney paraît outré ou monolithique, la première se contentant souvent de lever un sourcil, le second d’étaler son absence d’expressivité. On aura en revanche plaisir à retrouver le malingre Elisha Cook Jr, éternel second rôle, ou Esther Howard en logeuse vulgaire passionnée par les ragots et la bière. Ils colorent une intrigue retorse qui vaut moins par ses rebondissements que par la perversité généralisée : Sam est un psychopathe, Helen s’amourache de lui en se détachant de toute entrave morale et le détective est corrompu. Ne subsistent que deux pâles représentants de l’honnêteté : la femme de Sam et le fiancé d’Helen, tellement fades que le film ne les ressort que par nécessité, c’est à dire pour aggraver la situation.
Dès le début d’ailleurs, cette atmosphère malsaine imprègne des images apparemment anodines : une fille délurée qui raconte ses amours, sa logeuse qui en rit, un joueur au casino et Helen qui a obtenu son divorce. Ces personnages apparemment dissemblables vont être liés par un double meurtre dont la brutalité étonne encore, malgré un hors-champ pudique. Mais le lien entre Helen et Sam est créé, à la suite de deux rencontres fortuites : un lien entre deux êtres corrompus qui se reconnaissent d’instinct et s’engagent sans scrupules sur le chemin de la perdition. Sans être moralisateur, le film insiste beaucoup sur cette chute, que soulignent encore les citations bibliques du détective.
S’il a choqué à sa sortie, c’est qu’il montre sans fard une société gangrenée par la cupidité et le vice : Sam, en une caricature du rêve américain, veut parvenir à son but (la richesse et la puissance) au prix de tromperies et de meurtres. Quant à Helen, prête pourtant à un mariage de raison confortable, elle ne peut résister à des pulsions voraces : l’attrait du mal passe aussi par le sexe. Au fond, à l’inverse d’un cliché du film noir, c’est l’homme et non la femme qui est ici fatal (et le jeu limité de Tierney n’en est que plus décevant : on comprend mal la fascination qu’il exerce). Alors, malgré quelques facilités scénaristiques dont une fin décevante, Né pour tuer réjouit par sa description très sombre des rapports humains, sa brutalité féroce. En revanche la réalisation de Wise manque de punch et d’inventivité : pour une trouvaille (les plans sur les protagonistes pendant le mariage, qui révèlent sans paroles leurs états d’esprit), nombre de séquences, même dans un noir et blanc soigné, sont assez convenues. Dommage ; avec un tel potentiel, le film aurait pu devenir une référence.