Le 1er août 2021
Documentaire hybridé, entre réalité et fiction, N’importe qui interroge de façon passionnante le concept de démocratie.
- Réalisateur : François Bégaudeau
- Genre : Documentaire
- Distributeur : Atmospheres Production
- Durée : 1h54mn
- Date de sortie : 22 mars 2017
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Résumé : Un certain François, dont on ne saura rien, semble avoir atterri en Mayenne. Il s’y promène de maison en maison, d’associations en mairies, de cabinet de sénatrice en ferme chevrière, et demande à ceux qu’il rencontre, brebis comprises, s’ils se sentent représentés. Façon d’enclencher des discussions sur la démocratie, pour réfléchir aux moyens de la faire advenir enfin.
Critique : Conçu dans le cadre d’une résidence en Mayenne, N’importe qui est le résultat d’une collaboration entre François Bégaudeau et l’association Atmosphères Production, sur le thème de la démocratie. A partir d’une question cadre -"vous sentez-vous bien représentés ?"-, le réalisateur s’accorde d’abord une promenade sur un marché et privilégie les rencontres hasardeuses. La caméra ne s’interdit pas de saisir le silence, l’agressivité, la perplexité des chalands ou des commerçants, le questionneur s’adaptant, souvent avec humour, à cette matérialité brute des corps qu’il a lui-même sollicités. Mais pour donner une consistance au propos, il faut bien évidemment des échanges plus nourris, non pas sous la forme d’entretiens, mais de dialogues. Ceux-ci incarnent la présence subjective du documentariste et le situent dans le même champ que les personnes questionnées : au sens propre du terme, puisque si l’on excepte la dernière séquence tournée dans une classe, les conversations mettent les intervenants en présence, bien loin des reportages télévisés classiques qui absentent le journaliste dans un hors-champ de surplomb.
Copyright Atmosphere Productions
Cette volonté d’organiser une égalité entre les locuteurs, par des situations d’énonciation idoines, autorise des jeux de déplacements, tels que les films du collectif Othon, dont fait partie François Bégaudeau, ont pu les mettre en scène, à travers un joyeux mélange entre réalité et fiction. L’hybridation offre quelques jolies échappées : on retiendra cette scène où un élu local, auparavant interrogé par le réalisateur, se trouve transfiguré en chevalier marxiste, fièrement assis sur son destrier, au pied d’un château qu’il harangue comme une métaphore de la ploutocratie. On sélectionnera aussi les déambulations agrestes de la caméra : celle-ci déniche un lointain cousin de l’âne Balthazar ou un troupeau de chèvres, qu’un pâtre a laissé batifoler. Les questions qui leur sont adressées ne trouveront pas de réponses particulières.
Il est caractéristique que les interventions du réalisateur prolongent le dispositif adopté, dans une conciliation tout à fait passionnante entre questionnements et convictions politiques : ainsi, une discussion avec un horticulteur, chantre de l’idéal européen, instaure-t-elle une divergence d’opinions qui illustre une dispute au sens le plus démocratique du vocable, où les mots de Bégaudeau traduisent son scepticisme envers la capacité d’une Europe prompte à satisfaire la majorité des citoyens, tandis que ceux de son contradicteur dessinent les contours d’une position médiane plus consensuelle.
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Le documentaire met très clairement en jeu les apories sur lesquelles bute la démocratie représentative, non seulement par l’insatisfaction de ceux qui ne se sentent pas écoutés (un homme issu de la communauté des gens du voyage en témoigne), mais aussi par le discours de certains élus, qui prouve, parfois à leur insu, combien la proximité renforce les jeux d’influence entre les administrés et leurs représentants : s’il ne veut pas perdre les subventions accordées à son association, le contempteur d’une politique municipale y regardera sans doute à deux fois, quoi qu’en dise le premier édile d’une petite commune, inutilement verbeux, mais pris au piège de son propre développement, dont le pragmatisme s’accommode tout de même d’une forme de "clientélisme". Cette cécité au réel trouve sa plus spectaculaire manifestation dans les propos outranciers d’un homme politique frontiste, qui ne relèvent pas tant du moment attendu que de l’aveu d’impuissance. Fort en gueule, l’homme s’avoue "dépassé par les événements" : il ne reconnaît plus à travers la France moderne une sorte de peuple éternel et fantasmé, qu’il ressuscite sous les auspices du prolo plein de gouaille audiardienne. Cette séquence nous prouve que l’inflation discursive survient, lorsque les actes politiques ne savent plus à quel réel ils se réfèrent.
Sur quoi les décisions de nos représentants se fondent-elles, lorsqu’une profusion d’avis contradictoires parviennent à leurs oreilles, rendant périlleuse la possibilité d’une synthèse ? A cette question, une élue municipale, responsable de l’insertion sociale et professionnelle dans le Conseil départemental de la Mayenne, n’a qu’une intuition et une vague formule à proposer, puisqu’il lui est difficile de saisir l’humeur générale d’une communauté lorsqu’il s’agit d’un sujet sociétal, comme la réforme du collège.
Au fil des témoignages, l’idée d’une démocratie directe fait son chemin et il est logique qu’elle trouve sa concrétisation dans une séance délibérative où, loin d’un système représentatif fondamentalement insatisfaisant, des enfants d’une école primaire discutent de ce qu’ils mettent en place pour améliorer leur quotidien. Il s’agit non pas d’anticiper, selon un point de vue moral, le devenir d’une génération citoyenne et responsable, mais de filmer ce que devrait être un moment plus égalitaire, où des individus s’installent autour d’une table et parlent très simplement de ce qu’ils vont décider ensemble.
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