Notre avis : Publié en 2017 aux USA, le roman avait déjà suscité un engouement critique et publique unanime, au point de remporter de nombreux prix littéraires et d’être considéré par Stephen King comme un véritable "chef-d’oeuvre".
Il y a quelques semaines les éditions Gallmeister ont ressorti My Absolute Darling. C’est l’occasion pour nous de nous replonger dans ce drame américain.
Turtle, une jeune fille de quatorze ans vit seule avec son père Martin et son grand-père qu’elle voit peu, dans une maison perdue au milieu des bois. Petit à petit, on comprend que la vie de cette adolescente est loin de celle qu’on attendrait pour une jeune personne de son âge. Son existence est solitaire, entourée d’armes, sans liens avec les autres. Elle refuse tout contact avec autrui, même quand celui-ci semble bienveillant, à l’image de sa professeur d’anglais, Anna, ou encore de Caroline une ancienne amie de sa mère, prématurément morte.
Si elle est à ce point farouche, c’est que son père est diablement jaloux et qu’il refuse qu’elle tisse des relations avec d’autres enfants et notamment avec Jacob, dont il comprend vite que sa fille est éprise. Pourtant, Turtle aime son père Martin d’un amour qui la pousse à supporter son alcoolisme, sa violence et ses abus. Si elle supporte toutes ces attitudes, c’est que l’emprise de ce père annihile toute sa volonté.
A de nombreux moments, Turtle se rappelle l’amour que Martin lui porte et d’ailleurs ce dernier n’a de cesse de lui répéter. Pourtant, cet amour est brutal, malsain, incestueux. Beaucoup de passages dans le roman mettent à jour la violence qui habite le personnage, que ce soit dans sa vie comme dans ses relations avec sa fille. Tous ces passages sont d’une telle intensité qu’on ne peut s’empêcher d’arrêter la lecture. Malgré tout, l’attachement que nous éprouvons pour Turtle nous pousse à continuer, dans l’espoir qu’elle parvienne à trouver une vie meilleure.
Tout le talent de ce roman, porté par l’écriture de Gabriel Tallent, est qu’il parvient à raconter cette histoire terrible, avec une telle force que le lecteur a le sentiment lui aussi de vivre tout ce qui arrive à Turtle. Le style est âpre, direct, franc. Le texte suscite un sentiment de colère et de révolte, mais aussi une profonde sensation de malaise.
En effet, le récit nous entraîne dans la psyché de ses personnages, de telle sorte qu’on pardonne presque à ce père abusif les agissement ignobles sur sa fille, tant ce dernier insiste sur l’amour qu’il lui porte. Si cette position est profondément inconfortable et délicate, elle n’en est pas moins ce qui fait de ce roman un grand livre. Gabriel Tallent montre avec brio les pulsions les plus violentes de l’individu, sans tomber dans le manichéisme du bien et du mal. Il montre que l’homme est plus complexe qu’on ne le pense et agit souvent par reproduction.
Ainsi, on suppose que Martin refait les gestes de son propre père. Cette idée de reproduction est d’ailleurs affirmée par le personnage lui même, qui, à de nombreuses reprises, critique son géniteur et son éducation, mais plus encore lorsque Turtle se montre violente envers Jacob, alors qu’il ne fait aucun doute qu’elle l’aime. Comme si pour l’héroîne, ainsi que pour son père, l’amour passait par la brutalité. En cela le roman est très dérangeant, car on ne voit plus Martin comme un bourreau, mais comme une victime.
My Absolute Darling est un livre qui hante son lecteur, qui le place presque dans une angoisse perpétuelle, tant on craint pour la vie de la jeune Turtle, mais aussi face au déterminisme qui la guette. Ce roman se lit en apnée et marque profondément son lecteur. Il ne plaira certainement pas à tout le monde tant il est abrupt, mais il ne laissera personne indifférent.
My Absolute Darling n’a pas démérité son appellation de chef-d’oeuvre et tous ses prix littéraires, parce qu’il s’agit d’un récit absolument brillant, qui raconte avec justesse et d’une façon presque documentaire la vie de cette jeune fille de quatorze ans et de son père abusif.