Donner sa langue aux chars
Le 19 avril 2005
Sans jamais l’aborder de plein front, Zahia Rahmani se sert d’une actualité brûlante pour raconter la quête identitaire d’une déracinée.
- Auteur : Zahia Rahmani
- Editeur : Sabine Wespiesser
- Genre : Roman & fiction
L'a lu
Veut le lire
"Je sais qu’on se soucie de nous. Mais du sentiment que, nous, nous avons de nous qui s’en soucie ?" "Nous", sous la plume de Zahia Rahmani, ce sont les musulmans. Certains, ceux qui se vouent au martyr, "sont morts comme vivants" et puis, il y a les autres, tous les autres, les vivants avant d’être morts, arabes, bien sûr, mais aussi perses, kurdes ou encore berbères. Une vraie diversité que quelques-uns continuent d’ignorer, préférant le principe de guerres de civilisations. Pas tous, heureusement, d’où, sans doute, ce "je sais qu’on se soucie de nous". Principe insuffisant, néanmoins, quand on assimile, même avec la meilleure des volontés qui soit, des communautés hétéroclites à une seule et simple religion, sans se préoccuper du fait que, à l’intérieur de cette dernière entité, chaque individu porte en lui sa propre langue, son histoire, ses parents, ses deuils. Comment renouer, dans ces conditions, avec son identité ? Comment ne pas se sentir délaissé ? Comment ne pas éprouver le devoir de se confronter à ceux qui pratiquent l’assimilation systématique ? Toutes ces questions pour arriver à la plus traumatisante d’entre elles : peut-on encore se permettre d’élever des enfants dans un monde qui ignore vos origines ?
La narratrice du roman de Zahia Rahmani est parquée dans un camp avec des individus qui ne parlent pas la même langue mais que l’on désigne sous le terme générique d’ennemis parce que, dit-on, ils vénèrent un Dieu commun et, on le devine, criminel. L’occasion pour elle de se remémorer cette nuit où, à cinq ans, tout juste débarquée d’Algérie, elle a perdu sa langue (le berbère), une langue orale, une langue "de récits d’ogres et de légendes", au profit de la "langue d’Europe" (le français), une langue écrite. Cette nuit où elle rêva qu’elle se trouvait à l’intérieur d’éléphants transparents. Cette nuit où, contrairement, aux Mekkois le soir de la naissance de Mahomet, elle ne prit pas la fuite [1]. Comme si elle ne croyait plus aux miracles parce qu’une force irraisonnée lui imposait d’entrer de plein pied dans un corps étranger. Il fallait s’intégrer.
Plus les pages de "Musulman" Roman défilent, plus, à regret parfois, la prose devient revendicative, colérique, pour s’achever sous la forme d’un dialogue absurde au sens théâtral du terme. Zahia Rahmani mélange les genres narratifs, sans jamais renoncer au domaine où elle atteint l’excellence, la poésie. En quelques mots, quelques phrases courtes, elle éclaire ses lecteurs sur ce que signifie la difficulté d’être soi.
Zahia Rahmani, "Musulman" roman, éd. Sabine Wespiesser, 2005, 145 pages, 16 €
[1] "La nuit de l’éléphant c’est, pour les musulmans, la naissance de l’enfant Mahomet. [...] La légende raconte que c’est montés sur des éléphants amenés on ne sait d’où que [des] étranges bataillons militaires entreprirent de détruire la ville [(La Mecque)]. A la vue de ces animaux, les Mékkois prirent peur. Ils s’enfuirent vers les montagnes. Mais c’était oublier la puissance divine, qui envoya des milliers et des milliers d’oiseaux tenant en leurs ailes des cailloux qui terrassèrent les éléphants. [...] Cette nuit-là, en ce lieu, le premier des musulmans était né."
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.