Cris sans chuchotements
Le 15 août 2024
Minnie & Moskowitz permet de voir le talent de détournement de Cassavetes, éternel défenseur de l’indépendance artistique du cinéma.
- Réalisateur : John Cassavetes
- Acteurs : Gena Rowlands, Seymour Cassel, Timothy Carey, Val Avery, Katherine Cassavetes
- Genre : Comédie dramatique, Romance
- Nationalité : Américain
- Distributeur : Mission
- Durée : 1h51mn
- Reprise: 5 novembre 2014
- Titre original : Minnie and Moskowitz
- Date de sortie : 20 décembre 1972
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Résumé : Minnie Moore et Seymour Moskowitz sont deux êtres que tout oppose, lui gardien de parking au look beatnik, elle femme élégante et raffinée travaillant dans un musée. Leur admiration inconditionnelle pour l’acteur Humphrey Bogart semble bien être leur seul point commun. C’est lorsque Moskowitz intervient dans la violente dispute entre Minnie et son amant que les deux âmes emplies de solitude se rencontrent. De cet instant naît leur histoire d’amour tendre mais orageuse...
Critique : Tel un sacerdoce voué à l’indépendance, Cassavetes a soutenu tout au long de sa carrière cet idéal de cinéma comme une alternative artistique à la production hollywoodienne. Il s’est dévoué à l’art, emmenant dans cette procession, jusque dans les collines de Los Angeles, une troupe qu’il ne quittera plus. Ce grand écart a marqué le trottoir hollywoodien de son empreinte, celle des gens normaux, face au légendaire Boulevard des Étoiles. Minnie et Moskowitz est un hommage à la screwball comédie, qui montrait des histoires d’amours loufoques dont Capra fut l’un des grands instigateurs. N’ayant jamais caché son admiration pour ce cinéaste des grands studios des années 1930, Cassavetes laisse filer de sa farouche opposition ce paradoxe qui le lie intimement au classicisme américain.
Cette comédie reprend la trame déjantée d’un amour improbable entre deux personnages foncièrement différents. Origines sociales et culturelles, caractères épineux et réactions mollassonnes, Seymour Moskowitz et Minnie Moore finiront par s’aimer. Mais ce résultat tendre et espéré est torturé par un réalisateur qui y injecte du soufre et de la vitesse afin d’assécher l’empathie traditionnelle de la production courante. Les relations d’une pleine violence semblent se déliter par l’assourdissante constance des cris, des colères, des incompréhensions entre les êtres. Un paroxysme immodéré, toujours sur le point de basculer vers le tragique. Pourtant, cette union incompatible résiste à la brutalité de l’échange. Cassavetes reprend les repères du screwball pour mieux s’en amuser, dans un acte renversant et engagé par rapport à Hollywood. Il affirme ainsi une nouvelle fois la distance de l’authentique face à la transparence académique faite de situations, lieux et personnages de spectacle.
Sa radicalité moderne, découverte dans Shadows en 1959, souligne la liberté revendiquée d’une exploration esthétique. Au même moment que la Nouvelle Vague française s’épanouissait, il réussit à imposer une œuvre audacieuse au ton libéré. Achevé en 1971, Minnie & Moskowitz réitère cette tension psychotique, comme une sorte d’énergie libérée. De nombreux faux-raccords s’égrènent à mesure que la caméra essaie de suivre le chemin hasardeux des deux compagnons, confiant cette œuvre à une belle spontanéité, à jamais insaisissable.
Rare film "cassavetien" proposant une fin heureuse, il n’est pourtant pas si simple d’en conclure à l’optimisme tant la persistante sauvagerie des rapports humains assène le spectateur d’une furie perçante. On ne peut qu’être interpellé par l’étrange relation du couple : l’irascibilité comme signe amoureux. Gena Rowlands, la névrosée, nous donne l’impression de s’effriter en dehors de sa carapace à monture noire, trop fragile pour affronter la moustache rayonnante et excessive de Seymour Cassel. Et, finalement, tous deux tomberont ces masques comme pour apprivoiser à nouveau l’amour. Mais cette démarche aura montré la difficulté des êtres à se comprendre, motif récurrent chez Cassavetes, définitivement meurtri par la relation ambiguë qu’il a entretenue avec Hollywood toute sa vie.
Le DVD
Prendre le temps du cinéma
Les suppléments
Ce coffret comporte deux disques. Sur le premier, se trouve le film, et un supplément narré par Luc Lagier : une analyse intéressante de l’œuvre qui s’appuie sur le portrait singulier de Cassavetes, sorte de gourou d’un groupe d’amis dévoué à l’art cinématographique.
Le deuxième est consacré à une interview du réalisateur. À juste titre ce document a l’odeur du mythe. Faisant partie de la collection « Cinéaste de notre temps », ce film de 50 mn essaie d’agripper l’effusion dévorante de Cassavetes. Mais celui-ci échappe constamment à Labarthe, toujours dans ce mouvement insatiable qui caractérise son œuvre. Il affirme sa volonté comme une fière lutte face au cinéma commercial, explicitant les conditions de production et de création de Shadows et Faces. Car, Labarthe eut le nez fin, tard dans les années 60, pour débusquer dans les hauteurs hollywoodiennes, le talent d’un jeune cinéaste qui allait devenir la décennie suivante la figure du cinéma indépendant américain.
Image & son
Le DVD mk2 est soutenu par une retranscription de qualité. L’image granuleuse respecte l’urbanité typique de la filmographie américaine des années 70. L’édition propose deux pistes son (VO & VF) uniquement en stéréo respectant le format original. Compte tenu de la rareté de ce film, notre exigence se soumet à ce travail honorable.
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