Cassavetes à la loupe
Le 15 août 2024
Avant-dernier film du réalisateur, Love Streams raconte le tumulte de l’amour, nourri d’égoïsme et de vertige, de douleur et de passion, d’attache et d’abandon. Cassavetes brouille les pistes et dit de l’amour qu’il est beaucoup de choses, mais qu’il est surtout compliqué.
- Réalisateur : John Cassavetes
- Acteurs : Gena Rowlands, John Cassavetes, Seymour Cassel, Diahnne Abbott
- Genre : Drame, Film culte
- Nationalité : Américain
- Distributeur : Splendor Films
- Editeur vidéo : Wild Side Video
- Durée : 2h21mn
- Reprise: 6 février 2019
- Titre original : Love Streams
- Date de sortie : 9 janvier 1985
- Festival : Festival de Berlin 1984
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Résumé : Robert est écrivain et mène une vie désordonnée, au rythme des femmes et de l’alcool. Il est un père inexistant pour son fils, qu’il n’a presque jamais vu. Sarah est en cours de divorce, et vit très mal la réaction de sa fille qui la rejette. Les existences de Robert et Sarah vont se percuter, au gré de la vie et ses interrogations. Leur amour mutuel réussira-t-il à les apaiser ?
Critique : Est-ce que l’amour est un art ? Cette question que pose Sarah (Gena Rowlands) à Robert (John Cassavetes) trouve sa réponse dans un film où l’auteur dialogue constamment avec son sujet, l’amour, et la forme cinématographique qu’il voudrait lui donner. "Il n’y a que ça qui m’intéresse, l’amour" disait Cassavetes face à la caméra du journaliste culturel Michael Ventura dans le documentaire I’m Almost Not Crazy : John Cassavetes, the Man and His Work, que l’on retrouve en supplément du film. L’amour, trop présent, trop absent, entre un parent et son enfant, entre un homme et une femme, entre un frère et une soeur. Comme le torrent du titre, l’amour est ce mouvement perpétuel, parfois brusque et violent, parfois calme et apaisé.
- Copyright Splendor Films
Le fond contamine la forme, et se traduit par une absence de fil directeur dans le récit. Cette absence de narration classique dans Love Streams atteste non pas de la paresse de Cassavetes, mais bien d’une maîtrise totale de son sujet et de ce qu’il souhaite en dire. La forme du film théorise également cette idée, à la fois belle et tragique, que les rêves et les cauchemars se confondent parfois avec la réalité. Mais Cassavetes, sans choisir entre le rêve ou le cauchemar, opte pour un entre-deux grinçant, mélange de pathétique et de désespoir, trop conscient de la noirceur de la vie pour la montrer plus belle qu’elle ne l’est. Trop conscient, aussi, que l’amour est la seule raison de vivre, Cassavetes offre toujours un contrepoint à cette noirceur. Une scène, superbe et désespérée, voit le personnage de Sarah tenter de faire rire son mari et sa fille dans une scène faussement drôle. Sarah y parie la "mise ultime", l’amour. Soit la seule chose qui vaille la peine d’aller au bout de soi-même, quitte à se perdre en chemin. En allant au bout du ridicule pour cet amour, le personnage trouve pourtant grâce aux yeux de Cassavetes.
- Copyright Splendor Films
Incroyable synergie des scènes donc, qui sont autant de fragments sans soudures pour venir les lier entre elles, et qui pourtant donnent corps à ce torrent d’amour évoqué par le titre du film. Synergie des personnages aussi, qui disent le sentiment d’amour toujours à leur façon, jamais de la bonne manière, d’un mot dur ou d’un silence, d’un cauchemar ou d’une ivresse, mais qui le disent tout de même. Sarah qui aime trop, Robert qui n’aime pas assez. Des personnages qui ne se comprennent jamais ou si peu, ou trop tard, et qui sont aussi des personnages-acteurs. Cassavetes et Rowlands sont en couple dans la vraie vie, qui n’est pas si éloignée de la vie de cinéma que filme Cassavetes. Frappé par la maladie, conscient qu’il tourne peut-être son dernier film, Cassavetes s’épuise, et son film a la ferveur de celui qui veut tout dire avant la fin qu’il sent trop proche. Synergie miraculeuse donc, quand tous ces éléments en apparence démembrés se réunissent et dialoguent ensemble pour donner corps à la métaphore de l’amour par Cassavetes.
Connaître l’histoire de Love Streams et son processus de fabrication n’est pas indispensable pour apprécier le film à la juste valeur qu’on accorde aux chefs-d’œuvre. Mais la connaître, c’est mieux comprendre l’œuvre testamentaire qu’est Love Streams, déclaration d’amour à Gena Rowlands, adieu à sa femme et au cinéma. Le dernier plan du film, apaisé, sublime cet au revoir, d’où l’importance de cette réédition qui contextualise une œuvre au crépuscule de son auteur, et témoigne d’une ambition radicale et jusqu’au-boutiste. Cassavetes, un punk à Hollywood. Et une œuvre qui n’appartient, sans galvauder la formule, qu’à son auteur.
Les suppléments
D’une générosité sans faille. Le film Un enfant attend, troisième (et magnifique) réalisation de Cassavetes, est l’invité d’honneur de cette édition. Le documentaire I’m Almost Not Crazy : John Cassavetes, the Man and His Work s’invite sur le tournage de Love Streams, et témoigne sur près d’une heure du caractère complexe de Cassavetes. Le livre L’Amour et le vertige, trajectoire d’une rébellion de Doug Headline offre une passionnante perspective du parcours accompli par Cassavetes et de sa volonté d’indépendance, en mettant en lumière le processus de création d’Un enfant attend et de Love Streams. Seul le deuxième extrait de l’émission Cinéma, Cinémas est dispensable, n’offrant qu’une redite du documentaire de Doug Headline.
L’image
Le travail de restauration redonne des couleurs et une précision à l’image, et rend grâce au travail de Cassavetes et de son chef opérateur Al Ruban sur la photographie.
Le son
Le DTS 2.0 fait ce qu’il peu et le fait plutôt bien, surtout lors de la scène de la rêverie musicale sur une scène d’opéra.
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