La face cachée dévoilée
Le 15 août 2024
Un couple, pris dans les aléas du quotidien, se voit subitement projeter dans le tourbillon de l’adultère... Gena Rowlands est sublime dans ce bijou de Cassavetes.
- Réalisateur : John Cassavetes
- Acteurs : Gena Rowlands, Seymour Cassel, John Marley, Lynn Carlin, Fred Draper
- Genre : Drame, Noir et blanc, Film culte
- Distributeur : Orly Films
- Editeur vidéo : Orange Studio
- Durée : 2h10mn
- Reprise: 11 juillet 2012
- Date de sortie : 11 mars 1992
- Festival : Festival de Venise 1968
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– Année de production : 1968
Résumé : Richard Forst, un homme d’affaires, tombe sous le charme d’une call-girl, Jeannie, au cours d’une soirée arrosée. En rentrant chez lui, il se dispute avec sa femme Maria, lui annonce son intention de divorcer et retourne auprès de Jeannie. Maria est quant à elle séduite par Chet, un jeune homme rencontré en discothèque. Entre errance nocturne, fous rires, alcool, flirts et mauvaise conscience, le couple semble se déliter en moins de trente-six heures...
Critique : Tourné à l’aube de la libération sexuelle, en 1965, Faces démarre sur une projection de La Dolce Vita de Federico Fellini devant un parterre d’hommes d’affaires, qui considère le film comme « impressionniste et choquant... mais fort et attractif ». Ceci n’est pas une coïncidence dans l’écriture du scénario de Cassavetes. En effet ce film réalisé en 1960 est composé de différents tableaux, le second « Les plaisirs pervers », particulièrement proche scénaristiquement, raconte l’adultère du héros avec une prostituée dont l’épouse abandonnée tentera de mettre fin à ses jours. À partir de cette base, Cassavetes nous propose sa propre vision, son questionnement, un cinéma dit de « réalité », car axé sur l’intimité d’un couple, une œuvre aux accents bergmaniens. Les protagonistes n’arrivent pas à parler normalement, ils rient, crient, voire pleurent mais l’échange n’est jamais anodin. Comme si on ne pouvait s’ouvrir à l’autre qu’en s’imposant avec le ton de sa voix et par le conflit, révéler, la vérité. Cette communication n’est possible que par le biais de l’alcool, détail récurrent de l’œuvre de Cassavetes car inspiré de sa propre réalité. Voilà bien la force de ses scénarios, car à partir d’un récit fictif, Cassavetes distille des éléments de sa vie et de son quotidien, et c’est justement parce que cela sonne vrai, que cela fonctionne. À cela vient s’ajouter le fait qu’il fasse appel à son épouse, l’actrice Gena Rowlands, pour interpréter l’un des rôles principaux, celui de Jeannie Rapp, que l’on découvre être celui d’une call-girl. Le réalisateur la magnifie avec de gros plans, et par-delà sa beauté révélée, le spectateur perçoit la sensibilité de l’image et ne voit plus une prostituée, mais une femme à part entière. Assiste-t-on à une excellente interprétation ou est-ce la femme derrière la comédienne qui nous dévoile sa fragilité ? Cette sincérité renvoyée est tout simplement splendide à découvrir.
Le couple Forst, formé par les acteurs John Marley et Lynn Carlin, est en proie aux aléas de la vie quotidienne. Richard, la cinquantaine, poussé par sa découverte du « baroque fellinien », rêve de liberté et de nouveauté, alors que son épouse Maria « bergmanienne » s’inquiète de leur devenir. Et c’est par le biais d’une anecdote sur un couple d’ami qu’elle le questionne sur leur propre relation. Cette scène est d’ailleurs une délicieuse pépite où l’on sent une réelle complicité entre les acteurs. Leur discussion, portée sur la sexualité, est tellement impudique (pour l’époque) que les interprètes ne peuvent s’empêcher de rire. Un fou rire que Cassavetes filme et retient pour son authenticité, alors que pour d’autres, cette scène aurait été mise au rebut ou gardée pour le bêtisier. Ce naturel est aussi un parti pris du cinéaste qui souhaite être au plus près de la réalité. Il est libre de ces choix, car depuis son expérience Shadows et cette volonté d’être indépendant, Cassavetes s’autoproduit. Il finance ainsi Faces, en tournant lui-même pour d’autres réalisateurs, en hypothéquant sa maison et en l’utilisant ainsi que celle de sa belle-mère, comme lieux de prises de vue.
Malgré tout, Faces dispose de peu de moyens, les acteurs sont bénévoles et la pellicule est récupérée auprès des chutes des autres productions. Le tournage a lieu le soir, lorsque tous ont fini de travailler, et ce jusqu’à épuisement des comédiens. Les artistes s’exposent à une telle situation de vulnérabilité que les sentiments sont portés à leur paroxysme. Un investissement si éprouvant, qu’il est sans doute peu probable que Léa Seydoux aurait eu les capacités de tourner avec Cassavetes ou alors, dès le tournage achevé, se serait empressée de déverser toute sa hargne aux médias avides de sensationnel. Faces est un film, comme toute l’œuvre de Cassavetes, qui rend hommage au métier d’acteur : le rôle qui leur est offert est une vraie sensation de liberté. Le réalisateur les dirige dans la continuité du scénario et ceci afin de ne pas rompre avec ce qui a été créé en gardant l’intensité des émotions générées des soirs précédents. L’interprète de Chet, Seymour Cassel, dit de cette expérience que “C’était comme jouer dans une pièce de théâtre mais en plus long”. Cette manière de procéder, qui fut une réussite pour tous, sera par la suite généralisée au reste de sa création. Un film interpellant à (re)découvrir au coin du feu avec votre bien-aimé(e), surtout si vous avez un message à lui faire passer…
– Festival de Venise 1968 : Prix de la meilleure interprétation pour John Marley}
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