Le 24 novembre 2020
En retraçant ses années de galère, Stephanie Land nous montre le jugement condescendant de l’Amérique envers les travailleurs pauvres : leurs achats alimentaires, la présomption de culpabilité, leur invisibilité. Un témoignage émouvant, dans un style très simple, d’une combattante moderne contre les préjugés.
- Auteur : Stephanie Land
- Editeur : Éditions Globe
- Genre : Chronique sociale
- Nationalité : Américaine
- Traducteur : Christel Gaillard-Paris
- Date de sortie : 7 octobre 2020
- Plus d'informations : Site des éditions Globe
L'a lu
Veut le lire
Résumé : Stephanie fuit son conjoint violent et doit élever seule sa fillette de 2 ans. Elle travaille alors comme femme de ménage et raconte son quotidien dans la pauvreté, loin du mythe américain d’une richesse accessible. Devenue écrivain, elle raconte son parcours dans ce livre.
Critique : Les récits à la première personne sont toujours poignants, dans le sens où les émotions sont livrées de manière brutes, par celles et ceux qui les ont vécues, et avec leurs propres mots. Ici, Stéphanie Land affronte une situation pas si rare dans les pays riches occidentaux : celle des mères célibataires, qui doivent à fois vivre dans la misère et dans l’hostilité de la société. Ici, elle raconte comment quotidiennement, chaque problème qui peut sembler anodin à ceux qui ont l’assurance de couvrir leurs frais, devient une angoisse. Que faire si la voiture tombe en panne, comment accepter un travail où le salaire de l’heure couvre à peine les frais d’essence et les frais de garde, jusqu’où la maladie peut-elle être supportable pour aller travailler ? Et si sa fille a de la fièvre et que la garderie la refuse, comment combler une journée d’absence au travail ?
Le portrait des États-Unis, où les inégalités augmentent par ailleurs, est impeccable. Par exemple, lorsqu’on est pauvre, on bénéficie de « bons alimentaires ». Ces bons permettent d’acheter certains aliments et Stéphanie Land décrit bien à quel point elle vit sans arrêt dans le soupçon de la société. Si elle veut acheter du lait bio pour sa fille, elle doit vérifier que cela rentre dans les critères de ses bons alimentaires. Pour un jouet acheté, elle sait que cela entraîne des jours de privation, qu’elle prend sur elle. Lorsqu’elle la conduit à l’hôpital, est-ce parce que c’est une mauvaise mère ? La question se pose moins lorsqu’on fait partie de la classe supérieure.
Alors, elle décroche un job d’employée de ménage dans une entreprise, qui lui garantit des horaires, un planning quelques jours avant et un salaire fixe. Bien sûr, lorsqu’elle travaille dans ces maisons si particulières, auxquelles elle donne un surnom ("la maison porno", "la maison triste", "la maison de la femme qui entasse"), elle est invisible. Cela renforce son sentiment de solitude, mais elle est pugnace car elle n’a pas le choix, elle continue, coûte que coûte, à aller travailler tous les matins. Elle imagine les vies dans les maisons qu’elle récure, pour dix dollars de l’heure. Jusqu’au jour où elle va reprendre le chemin de l’Université et enfin embrasser son rêve de jeune fille.
Bien sûr, c’est une histoire comme l’Amérique en raffole et le livre est écrit comme tel. Sa prochaine adaptation en séries par Netflix et son succès qui l’a classée en best-seller dans le New York Times en témoignent. D’abord, c’est le combat d’une femme, seule, battante, qui fuit un conjoint violent et va endosser toutes les responsabilités parentales. Pour protéger sa fille et lui permettre de grandir convenablement, elle va mettre toute son énergie à la protéger de sa pauvreté : elle trouve des arrangements pour lui procurer des vêtements, des jeux et ne la néglige jamais. Ensuite, Stéphanie parvient à se sortir de la précarité, grâce à des rencontres, son énergie et son travail. La morale n’est pas très différente de celle que prône le « pays où tout est possible » : on arrive à tout à condition de s’en donner les moyens.
Stephanie Land a donc construit son récit pour susciter un impact et permettre au plus grand nombre de lire son témoignage. Son ouvrage est clairement militant. Elle cherche à faire changer de regard sur les personnes les plus précaires de son pays, en leur donnant corps et émotions. Lutter contre les violences conjugales et ses causes profondes, les ruptures familiales et surtout changer les regards, pour que pauvreté ne rime plus avec indignité. Dans ce récit, il est aussi question de tous ceux qui lui ont tendu la main et finalement, la solidarité tient parfois à de menus gestes.
Avec ce livre, on réfléchit sur sa propre condition matérielle, mais aussi sur les parcours de vie, où rien n’est simple. Il ne suffit pas de vouloir les choses pour y parvenir, parfois, on a besoin que la société nous protège. Ce témoignage pose sans doute davantage de questions qu’il n’y paraît, sans misérabilisme ni revendications. Sa lecture est facile et plonge directement le lecteur au cœur du sujet. Une voix à lire, afin de mieux comprendre le quotidien de celles et ceux qui vivent, comme ils le peuvent, dans la précarité.
15 × 22,5 cm
336 pages - 22 €
La chronique vous a plu ? Achetez l'œuvre chez nos partenaires !
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.